C'était dans Le Monde du 19 avril. Michel Dalloni, journaliste et spécialiste du cyclisme — il fut, entre autres, responsable du service sports du Monde puis directeur de rédaction de l'Équipe — signait un article en hommage aux bistrots dont les portes, qu'on ne pousse plus depuis le 14 mars, ont été les premières à se fermer sur notre liberté d'aller et venir.
En annexe à ce “Rêves de comptoir”, c'est le titre de l'article, Michel Dalloni, dans ce qu'il appelle un “Rades trip”, donne également l'adresse d'une dizaine d'estaminets, «sélection très personnelle d’adresses bien de chez nous, où l’art du bistrot est porté au plus haut, tant par les patrons — et les patronnes — que par les clients». Une liste de connaisseur, puisqu'elle se termine par le Café de La Fontaine, à Saint-Côme. Notre petit doigt nous a dit que Patrick Leroux, Saint-Cômois qui fut lui-même journaliste à L'Équipe, a peut-être donné quelques tuyaux à son confrère, qui a retenu le zinc en Formica tenu par Francis Revel depuis bientôt 30 ans.
Alors parlons-en de ces bistrots et de leurs clients en carafe. Par atavisme bougnat, j'ai la culture du zinc rivé au coude : pour boire un crème, un diabolo, une bière ou un apéro, rien ne vaut un comptoir. Le bistrot peut être une étape entre deux quartiers, un palier de décompression entre le boulot et le domicile, une zone de ravitaillement, liquide ou sec-beurre, une pause pipi. C'est surtout et avant tout un lieu de rencontre et d'échange, qui n'engage que le temps qu'on y consacre.
Les habitués le savent bien, qui sont du matin, du midi ou du soir, voire des trois : on y tient les propos les plus vrais sur la marche du monde, et la parole de l'un vaut toujours celle de l'autre, même s'il parle plus fort. Dans les bistrots, le costard-cravate et le bleu de travail sont plus égaux que dans n'importe quelle république. Leurs discussions de comptoir, n'en déplaisent à certains, débordent souvent de bon sens, ne manquent jamais d'humour et flirtent parfois avec la poésie. Plus que la fermeture des écoles ou des commerces “non-essentiels”, celle des cafés-restaurants, surtout pour un Aveyronnais, symbolise à elle seule la gravité de la situation : l'économie et la liberté y sont touchées de plein fouet. D'ailleurs, les spécialistes vous le diront, une telle catastrophe n'était jamais arrivée : même sous l'Occupation, les Allemands avaient laissé ouverts nos estaminets (d'accord, ça n'a rien à voir...).
Et les “apéros-visio” ne changent rien à l'affaire : même si chacun remet la sienne, le tour du main du mastroquet et la bande-son originale sur fond de moulin à café électrique ne sont pas imitables dans la vie 2 ou 3.0.
Au-delà du bistrot de ville ou du bistrot de gros bourg, point de rencontre, lieu d'appoint et de détente, il y a le café de village, parfois seule enseigne de la commune. Le confinement fut peut-être moins dur à supporter dans les zones rurales, mais à l'heure de la decoufinade, même progressive, les cafés de village n'ouvriront pas plus que les autres. Et pourtant, quand il n'y a pas de boulangerie ou d'épicerie, c'est souvent le seul lieu de vie, parfois à des kilomètres : on peut boire un coup, mais également y lire le journal, se dépanner en cigarettes et, surtout, faire un brin de causette. Et si le café fait aussi restaurant, c'est la double peine de les voir fermés.
Cette dernière catégorie, celle des bar-restaurants, des cafés-brasseries (quand il y a écrit “brasserie”, ça veut dire qu'on est en ville, ou presque), ont parfois laissé leur porte entrouverte pour des repas à emporter, dès le début du confinement. Ce qui leur a permis de garder un contact avec quelques clients, comme au café de l'Hôtel de Ville à Espalion, à la Brasserie du Théron à Saint-Côme, chez Vayssade à Lassouts et de nombreux autres (désolé de ne pas tous les citer). La prolongation des mesures d'urgence sanitaire a encouragé d'autres cafés-restaurants à proposer ce service au fil des semaines. Un moyen comme un autre de garder un lien avec une clientèle dont ils espèrent qu'elle leur sera fidèle le jour de la vraie libération. On est content de voir la lumière derrière les vitres du Flore, qui manque à la Barrière, quand “Jean-Mi” est en cuisine, ou d’imaginer Gérard derrière ses fourneaux à Boralde.
Dans les bars-tabac aussi on a gardé une porte ouverte, et parfois la possibilité de prendre un café ou une boisson à emporter, comme à Espalion au Café des Arts, chez Alain Vieilledent, ou au PMU. Un tabac sans bar, dans le métier, on appelle ça un tabac sec. Et un bar-tabac sans bar, c'est comme un gigot sans ail.
Les autres, ceux qui n'ont que leur bar et des petits casse-croûte, qui ne justifient pas un service de drive, comme on dit, se demandent, comme Vincent Espinasse, du Café de l'Hagard à Espalion, «si les clients reviendront». Sur ce sujet, les quelques habitués du petit noir ou de l'apéro que nous avons croisés pendant cette étrange période n'avaient qu'une hâte : voir rouvrir ces lieux de service public ! Même si certains ont réalisé quelques économies...
Alors ils passent le temps, les petits patrons, comme Francis Revel à Saint-Côme qui repeint sa façade, ou Vincent, déjà cité, qui, comme le lui a dit un client, presqu'un ami, prenant de ses nouvelles au téléphone : «Comme ça, tu auras le temps d'installer ta terrasse !»
Blague vue récemment sur les réseaux dit sociaux : «Mettons les choses au clair. Moi, j'évite d'aller courir pour ne pas déranger les vrais sportifs. En revanche, quand les cfés rouvriront avec 30% de places assises, ceux qui boivent du coca light, de la bière sans alcool, des bouteilles d'eau ou des tisanes sont priés de se les boire chez eux, et de laisser les tables aux professionnels». Mais rassurez-vous, comme il est écrit dans les Brèves de Comptoirs de Jean-Marie Gourio, «la terrasse ça fait vacances, le comptoir ça fait boulot».
Un livre spécial bistrots. Juste pour le plaisir, un livre de Jacques Yonnet, l'auteur rare du superbe “Rue des maléfices, Chronique secrète d'une ville” : “Les Troquets de Paris”, aux éditions L'Échappée, recueil des plusieurs dizaines de chroniques fantaisistes et poétiques parues dans l'Auvergnat de Paris à la fin des années 1950 (368 pages, 22€).
En annexe à ce “Rêves de comptoir”, c'est le titre de l'article, Michel Dalloni, dans ce qu'il appelle un “Rades trip”, donne également l'adresse d'une dizaine d'estaminets, «sélection très personnelle d’adresses bien de chez nous, où l’art du bistrot est porté au plus haut, tant par les patrons — et les patronnes — que par les clients». Une liste de connaisseur, puisqu'elle se termine par le Café de La Fontaine, à Saint-Côme. Notre petit doigt nous a dit que Patrick Leroux, Saint-Cômois qui fut lui-même journaliste à L'Équipe, a peut-être donné quelques tuyaux à son confrère, qui a retenu le zinc en Formica tenu par Francis Revel depuis bientôt 30 ans.
Alors parlons-en de ces bistrots et de leurs clients en carafe. Par atavisme bougnat, j'ai la culture du zinc rivé au coude : pour boire un crème, un diabolo, une bière ou un apéro, rien ne vaut un comptoir. Le bistrot peut être une étape entre deux quartiers, un palier de décompression entre le boulot et le domicile, une zone de ravitaillement, liquide ou sec-beurre, une pause pipi. C'est surtout et avant tout un lieu de rencontre et d'échange, qui n'engage que le temps qu'on y consacre.
Les habitués le savent bien, qui sont du matin, du midi ou du soir, voire des trois : on y tient les propos les plus vrais sur la marche du monde, et la parole de l'un vaut toujours celle de l'autre, même s'il parle plus fort. Dans les bistrots, le costard-cravate et le bleu de travail sont plus égaux que dans n'importe quelle république. Leurs discussions de comptoir, n'en déplaisent à certains, débordent souvent de bon sens, ne manquent jamais d'humour et flirtent parfois avec la poésie. Plus que la fermeture des écoles ou des commerces “non-essentiels”, celle des cafés-restaurants, surtout pour un Aveyronnais, symbolise à elle seule la gravité de la situation : l'économie et la liberté y sont touchées de plein fouet. D'ailleurs, les spécialistes vous le diront, une telle catastrophe n'était jamais arrivée : même sous l'Occupation, les Allemands avaient laissé ouverts nos estaminets (d'accord, ça n'a rien à voir...).
Et les “apéros-visio” ne changent rien à l'affaire : même si chacun remet la sienne, le tour du main du mastroquet et la bande-son originale sur fond de moulin à café électrique ne sont pas imitables dans la vie 2 ou 3.0.
Pour eux, pas de déconfinement
Au-delà du bistrot de ville ou du bistrot de gros bourg, point de rencontre, lieu d'appoint et de détente, il y a le café de village, parfois seule enseigne de la commune. Le confinement fut peut-être moins dur à supporter dans les zones rurales, mais à l'heure de la decoufinade, même progressive, les cafés de village n'ouvriront pas plus que les autres. Et pourtant, quand il n'y a pas de boulangerie ou d'épicerie, c'est souvent le seul lieu de vie, parfois à des kilomètres : on peut boire un coup, mais également y lire le journal, se dépanner en cigarettes et, surtout, faire un brin de causette. Et si le café fait aussi restaurant, c'est la double peine de les voir fermés.
Cette dernière catégorie, celle des bar-restaurants, des cafés-brasseries (quand il y a écrit “brasserie”, ça veut dire qu'on est en ville, ou presque), ont parfois laissé leur porte entrouverte pour des repas à emporter, dès le début du confinement. Ce qui leur a permis de garder un contact avec quelques clients, comme au café de l'Hôtel de Ville à Espalion, à la Brasserie du Théron à Saint-Côme, chez Vayssade à Lassouts et de nombreux autres (désolé de ne pas tous les citer). La prolongation des mesures d'urgence sanitaire a encouragé d'autres cafés-restaurants à proposer ce service au fil des semaines. Un moyen comme un autre de garder un lien avec une clientèle dont ils espèrent qu'elle leur sera fidèle le jour de la vraie libération. On est content de voir la lumière derrière les vitres du Flore, qui manque à la Barrière, quand “Jean-Mi” est en cuisine, ou d’imaginer Gérard derrière ses fourneaux à Boralde.
Dans les bars-tabac aussi on a gardé une porte ouverte, et parfois la possibilité de prendre un café ou une boisson à emporter, comme à Espalion au Café des Arts, chez Alain Vieilledent, ou au PMU. Un tabac sans bar, dans le métier, on appelle ça un tabac sec. Et un bar-tabac sans bar, c'est comme un gigot sans ail.
Les autres, ceux qui n'ont que leur bar et des petits casse-croûte, qui ne justifient pas un service de drive, comme on dit, se demandent, comme Vincent Espinasse, du Café de l'Hagard à Espalion, «si les clients reviendront». Sur ce sujet, les quelques habitués du petit noir ou de l'apéro que nous avons croisés pendant cette étrange période n'avaient qu'une hâte : voir rouvrir ces lieux de service public ! Même si certains ont réalisé quelques économies...
Alors ils passent le temps, les petits patrons, comme Francis Revel à Saint-Côme qui repeint sa façade, ou Vincent, déjà cité, qui, comme le lui a dit un client, presqu'un ami, prenant de ses nouvelles au téléphone : «Comme ça, tu auras le temps d'installer ta terrasse !»
La blague déconfinée
Blague vue récemment sur les réseaux dit sociaux : «Mettons les choses au clair. Moi, j'évite d'aller courir pour ne pas déranger les vrais sportifs. En revanche, quand les cfés rouvriront avec 30% de places assises, ceux qui boivent du coca light, de la bière sans alcool, des bouteilles d'eau ou des tisanes sont priés de se les boire chez eux, et de laisser les tables aux professionnels». Mais rassurez-vous, comme il est écrit dans les Brèves de Comptoirs de Jean-Marie Gourio, «la terrasse ça fait vacances, le comptoir ça fait boulot».
Un livre spécial bistrots. Juste pour le plaisir, un livre de Jacques Yonnet, l'auteur rare du superbe “Rue des maléfices, Chronique secrète d'une ville” : “Les Troquets de Paris”, aux éditions L'Échappée, recueil des plusieurs dizaines de chroniques fantaisistes et poétiques parues dans l'Auvergnat de Paris à la fin des années 1950 (368 pages, 22€).
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