Laguiole et son couteau ont fait couler de l'encre depuis bientôt 30 ans. D'abord parce qu'en 1993 un homme d'affaire francilien, Gilbert Szajner, avait déposé la marque Laguiole, empêchant les Laguiolais d'utiliser librement le nom de leur village pour commercialiser un certain nombre de produits (linge de maison, vêtements, etc.).
Un état de fait qui ne concernait pas la coutellerie, l'utilisation du nom “Laguiole” pour le couteau étant considérée comme tombée dans le domaine public.
Il y a deux ans, après 20 ans de procédures, la justice a tranché partiellement en défaveur de Szajner, en annulant non pas forcément les marques déposées, mais en les retirant de plusieurs des nombreuses catégories qu'elles occupaient, libérant ainsi un peu de marge de manœuvre pour d'autres utilisation locales du nom.
En 2017, la Forge de Laguiole avait de son côté remporté une première manche en obtenant l'annulation de la marque sur les couverts et accessoires tranchants.
Deux écoles pour demander l'IG
En ce qui concerne le couteau, c'est la commercialisation de produits de mauvaise qualité fabriqués en Asie sous la marque concédée par Gilbert Szajner, et sans aucun lien avec le savoir-faire de Laguiole et de Thiers, qui a poussé les couteliers vers l'obtention d'une IG (Indication Géographique, notion créée en 2014 pour protéger les produits industriels et artisanaux).
C'est dans ce sens qu'une association regroupant 7 entreprises de coutellerie implantées à Laguiole et à Espalion s'est créée, le Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole. En sont membres la Coutellerie de Laguiole (Honoré Durand), Benoît l'Artisan (ABC Mijoule), La Forge de Laguiole et sa filiale le Couteau de Laguiole, Laguiole en Aubrac (Christian Valat à Espalion), Laguiole Création (la forge de Montézic) et Laguiole Aveyron (anciennement Lacaze à Estaing), ces deux dernières appartenant à Christian Valat. À elles seules, ces entreprises regroupent 220 salariés, soit plus de 90% du secteur en Aveyron.
Un autre syndicat s'est créé autour de Thiers, l'autre capitale du Laguiole, le CLAA (Couteau Laguiole Aubrac Auvergne), qui revendique une quarantaine d'adhérents, dont une vingtaine en Aveyron. En effet, si le Laguiole est né à Laguiole, il a presque toujours bénéficié de l'industrie thiernoise, voire en a complétement dépendu. Ce fut le cas notamment entre la Première Guerre mondiale et les années 1980, quand l'intégralité de la production de couteaux de Laguiole se faisait dans le Puy-de-Dôme. Aujourd'hui, les Thiernois en revendiquent encore 80%, et fournissent une bonne partie des pièces assemblées à Laguiole et dans le Nord-Aveyron. C'est pourquoi ils défendent une IG commune aux deux territoires de fabrication que sont ceux de Laguiole et Thiers.
Autour de Laguiole
Car même localement, les entreprises de coutellerie ne sont pas forcément installées à Laguiole. Ce qui n'est pas une hérésie : avant de se concentrer dans la rue du Valat au XIXe siècle, les premiers couteliers étaient également installés dans la Vallée du Lot, notamment à Espalion, Saint-Côme ou Saint-Geniez, dont certains en provenance de Thiers. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le cahier des charges déposé par le syndicat aveyronnais concerne une vingtaine de communes : Campouriez, Cantoin, Cassuéjouls, Castelnau-de-Mandailles, Condom d’Aubrac, Coubisou, Curières, Entraygues-sur-Truyère, Espalion, Estaing, Florentin-la-Capelle, Huparlac, Laguiole, Le Cayrol, Le Nayrac, Montézic, Montpeyroux, Prades-d’Aubrac, Saint-Amans-des-Côts, Saint-Chély-d’Aubrac, Saint-Côme-d'Olt, Argence-en-Aubrac, Saint-Symphorien-de-Thénières et Soulages-Bonneval.
Dans tous les cas, l’IG n’empêchera personne de fabriquer des Laguiole, mais elle assurera que les couteaux en bénéficiant ont été réalisés dans le respect de règles établies.
Les Aveyronnais ont donc une longueur d'avance sur l'association thiernoise : leur cahier des charges de 80 pages est désormais déposé à l'INPI (Institut national de la propriété industrielle) pour une enquête publique de deux mois. Après d'éventuelles modifications de ce cahier, le Couteau de Laguiole pourrait rejoindre les 11 autres produits français bénéficiant de l'indication géographique. Chaque coutellerie adhérente devra ensuite faire l'objet d'un audit pour vérifier que les processus de fabrication et les pièces utilisées respectent le cahier des charges.
On notera que des éléments peuvent provenir de l'extérieur de la zone, comme certains matériaux constituant le manche ou encore les tire-bouchons et poinçons... fabriqués à Thiers.
XP
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.