Nasbinals - Librairie À l'Entour
Quand on prononce le nom de Michel Bras, l'on pense d'abord à son palmarès professionnel époustouflant mais Michel Bras nous rappelle «qu'un chemin, c'est parfois quatre pas en avant, quatre pas en arrière», et que «sa vie et celle de son épouse Gi ont été faites de beaucoup d'échecs.»
En quatre ans et demi, Michel Bras a écrit ce livre auto-édité pour ses petits-enfants avec ce message : «Je suis un autodidacte, mon livre est un livre d'espoir. Avec Gi, nous sommes partis de rien.»
Michel nous raconte : ses parents tiennent le restaurant Lou Mazuc à Laguiole où sa maman Angèle est en cuisine. Enfant, Michel fait des études littéraires au collège alors qu'il est plutôt un “matheux” et a de mauvaises notes en orthographe. Michel nous confie qu'il aurait aimé faire une carrière scientifique mais les problèmes de santé d'Angèle l'ont amené à faire sa «rentrée en cuisine» au restaurant Lou Mazuc. La cuisine ne le captivait pas vraiment, mais il trouvait du plaisir dans la pâtisserie où il retrouvait un côté «physico-chimique» qui l'intéressait. Petit à petit, Michel fera entrer ses créations dans la carte de Lou Mazuc.
De l'anonymat aux étoiles
En 1970, Michel et Gi, son épouse, reprennent Lou Mazuc. De son père Marcel, Michel dit qu'il lui a appris la rigueur, le goût du travail bien fait et de sa mère, la coquette Angèle, le beau et le bon.
Michel, fils d'un forgeron et d'une restauratrice de l'Aubrac, n'avait pas la possibilité d'entrer dans le cercle très fermé des grands chefs de l'époque. Comme il l'écrit, «respirer, écouter notre Aubrac n'est-il pas suffisant pour se construire et connaître ses devoirs» ?
Michel et Gi ne céderont pas aux mouvances de leur époque : ils refusent les opportunités de s'installer dans la capitale, ils s'entêtent à rester sur le plateau de l'Aubrac et ils disent non à la cuisine moléculaire. Lou Mazuc devient un restaurant loin des codes du moment : pas de nappe, le couteau Laguiole qui reste sur la table pendant tout le repas. Si Michel s'inspire de la cuisine de sa maman, il ajoute petit à petit des plats de sa création. Michel nous confie «je me suis servi de la cuisine pour m'exprimer, (...) j'ai donc appris une cuisine qui tenait plus du coeur que de la technique»
En 1978, le Gault et Millau découvre Lou Mazuc : «Ça nous a sortis de l'anonymat». En 1982, ce sera la première étoile Michelin puis en 1987, sa seconde étoile Michelin.
Un couple avant tout
Dans cette ascension, Michel rend hommage au rôle important qu'a joué son épouse Gi, avec laquelle il forme un couple en totale symbiose. Marié à l'âge de 21 ans, Michel ajoute en souriant : «Les couples qui durent, ça existe !»
Comme leur ami André Valadier l'écrit, «les deux ensemble, c'est une puissance».
Michel précise que lorsque la première étoile est arrivée, si certains clients curieux viennent découvrir leur cuisine, d'autres viennent voir si l'étoile est méritée et adressent à Gi, qui est en salle et à l'accueil, de sévères critiques comme «le gargouillou, on ne mange que de l'herbe !»
Afin de respecter la saveur des produits, Michel prépare ses plats avec frugalité : à l'occasion de la création d'un sauté d'écrevisses aux mousserons, un cuisinier de renom lui dit «tu es gonflé de donner ça à tes clients».
«Une autre blessure à vie», nous dit Michel «lorsque l'équipe de foot de Rodez arrive en demi-finale à Marseille en 1991, un reportage sur l'Aubrac se résume à un buronnier avec son béret crasseux, le mégot aux lèvres, les joues rouges». Michel reconnaît avoir beaucoup de respect pour les buronniers, mais ce reportage était loin de son image de l'Aubrac : méditation et rêverie...
Le Suquet, "un coup de folie !"
1992, le Suquet ! Michel avoue «Le Suquet, c'était un coup de folie. Un saut dans l'inconnu !» et il nous montre la photo du Suquet à moins de 9 mois de l'ouverture et rappelle les retards dans ce chantier et le contexte économique qui n'est pas des plus favorables. Michel déclare en souriant "vous allez être étonné de voir dans mon livre la photo d'un banquier". Il s'agit de Jimmy Aivazis, qui a été l'indispensable allié dans ce projet qui a atteint 17 millions de francs.
En 1999, Michel obtient sa 3e étoile Michelin.
En 2009, son fils Sébastien Bras prend la succession du Suquet.
2016, Michel Bras est désigné comme le chef le plus influent du monde !
Le livre “Cheminement” nous permet de découvrir que Michel n'est pas qu'un chef cuisinier ; il est aussi un gestionnaire, un jardinier, un herboriste, un apiculteur, un écrivain, un poète, un photographe, un marathonien, un architecte, un designer, un artiste... Apprendre n'est pas un vain mot chez Michel Bras.
L'on découvre que Michel et Gi sont des éducateurs dans l'âme. Pour preuve, des témoignages de son équipe : Régis, son fidèle second depuis de nombreuses années, "il a fait de moi ce que je suis", ou Sergio, son sommelier, "Michel a le don de percevoir, de savoir s'entourer. Je suis devenu celui qu'il avait vu en moi".
Michel Bras aujourd'hui
Que fait Michel aujourd'hui ? Il s'occupe du jardin du Suquet et consacre son temps à des associations caritatives. Michel intervient dans des EHPAD, dans des hôpitaux, dans des unités psychiatriques. Michel pratique aussi l'accompagnement de personnes en fin de vie dans la maison médicale Jeanne Garnier.
Les yeux de Michel s'illuminent lorsqu'il évoque certains moments magiques dans ses rencontres : ce monsieur atteint d'Alzheimer, totalement en retrait, auquel il propose une dégustation de vin "c'est un Cahors !" s'exclame ce malade dont les sens viennent de se réveiller pendant quelques instants.
Cette dame âgée, qui avait consacré sa vie à aider les autres et à laquelle Michel prodigue une aide pour manger, et qui lui déclare «c'est le plus beau jour de ma vie». Michel aimerait enlever les interdits dans l'alimentation des personnes âgées de plus de 85 ans, aller vers un mieux manger et introduire la notion de service comme «la soupe dans laquelle on vient râper un peu de Laguiole». Mais dur combat face à des institutions qui flirtent avec le CAC 40.
“Cheminement”, un livre dont la couverture atypique se pare d'une carte de l'Aubrac intime de Michel Bras et dont l'articulation se fait autour des verbes écouter, apprendre, aimer, rêver, cuisiner, douter, partager.
Bonne lecture !
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