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Faits divers d’une autre époque. Un drôle de paroissien à Saint-Côme

Pays d'Espalion. Notre rat d'archives Jean Ragot a reconstitué la chronique d'un fait divers en 1895 à Saint-Côme d'Olt.

Faits divers d’une autre époque. Un drôle de paroissien à Saint-Côme
Place de la Porte-Neuve (collection de l'Association de Sauvegarde du Vieux-Saint-Côme constituée par Robert Latapie, ancien président).

Faits divers d’une autre époque

Le 15 août 1895, entre 20h et 21h, un malfaiteur s’introduit dans le presbytère de Saint-Côme en escaladant un mur et en passant par une croisée entr’ouverte. Il sait que les occupants sont absents car, à ce moment-là, le curé et ses vicaires célèbrent une cérémonie religieuse autour de la statue de la Vierge qui se trouve sur le tour de ville. Le voleur entre dans la chambre du curé et fouille les cinq tiroirs d’un bureau, prend les clés renfermées dans le tiroir d’un autre meuble, repart avec une somme de mille francs appartenant au curé et une trentaine de francs qu’il trouve dans la chambre de la bonne. Manifestement, il connait bien le lieu et les habitudes des occupants.

Déjà en 1894, un vol aussi audacieux avait été commis pendant la grand’messe, et le voleur court encore…

Ces actes n’ont pas été commis par un «étranger au pays», cette expression désignant toute personne ne résidant pas sur la commune. L’individu ne peut-être que de la paroisse, mais qui est-il ? Les autorités n’ont aucune piste, pourtant les vols de Saint-Côme, dont plusieurs très importants, sont accomplis avec habileté et audace. On note que M. Boscary, notaire et maire de Saint-Côme, fut volé de 4.300 f ; puis M. Vieillecazes de 800 f ; M. Dalles de 2 500 f, Mademoiselle Germaine Drouot de 3.000 f de titres, M. Balitrand de 1.000 f ; M. Rey de 530 f ; Mme veuve Delmas de 400 f ; M. Decruéjouls de 300 f ; M. François de 500 f auxquels il faut ajouter le vol au presbytère de 1895.

Lorsque le 9 juin 1898, un deuxième vol est signalé au presbytère de Saint-Côme, le voleur a commis le larcin de trop ! Au cours de cette journée, la paroisse de Saint-Côme effectuait le pèlerinage annuel au sanctuaire de Gabriac. On suppose que c’est au moment où le curé de Saint-Côme et ses vicaires arrivent au bourg en tête de la procession, alors que beaucoup de personnes se portent sur son passage, que le ou les voleurs profitent du défaut de surveillance autour du presbytère pour y pénétrer. Vers 17 h, le curé Capely constate l’intrusion. Le malfaiteur s’est introduit dans le bâtiment en escaladant le mur du jardin, a forcé un contrevent et cassé un carreau de fenêtre pour actionner l’espagnolette. Puis, le voleur a enjambé la fenêtre et pénétré dans la maison. Deux chambres ont été visitées, et les armoires fouillées… Le parquet d’Espalion est avisé par télégramme de l’effraction.

Le chanoine Jean-Pierre Capely est le prêtre de la paroisse de Saint-Côme depuis 1886, c’est le deuxième cambriolage qu’il subit…

Très vite, les gendarmes d’Espalion, le juge d’instruction et le substitut arrivent sur les lieux.

Cette fois, le vol est d’importance : parmi les valeurs se trouvent 3 actions de la Compagnie d’Orléans, 3 obligations de la Banque Hypothécaires de France, environ 60 f en monnaie de billon provenant de quêtes (monnaie de cuivre alliée d’un peu d’argent) ; 500 à 550 f en or et argent d’honoraires de messes ; 3 pièces anciennes de 5 f, dont 2 datant de Louis XV et une de Louis XVI. La plus grande partie de ces valeurs estimées à 7.000 ou 8.000 f est constituée de dépôts remis entre les mains du curé.

On enquête…

«On est sur la piste des auteurs du vol important qui a été commis ainsi que nous l’avons dit, au presbytère de Saint-Côme. La justice espère les livrer bientôt» lit-on le 15 juin 1898 dans le Journal de l’Aveyron.

«De graves soupçons paraissent fondés nous laissent l’espoir que les coupables seront bientôt sous la main de la justice» écrit-on dans le Bulletin d’Espalion du 18 juin 1898.

Effectivement, un pauvre bougre est arrêté, nommé G. par la presse. Après deux mois de prison, il est relâché faute de preuves !

Le drôle de paroissien a un beau-frère à Paris, un brave homme qui veut bien rendre service à la famille. Il se charge de négocier des actions provenant par courrier de Saint-Côme. Il se trouve que les trois actions de chemin de fer de la Compagnie d’Orléans volées ont été immédiatement frappées d’opposition. Le porteur de ces actions est arrêté immédiatement. L’homme est surpris, abasourdi. La police reconnait bien vite sa bonne foi. Il prouve, car il a gardé l’enveloppe d’expédition postée à Espalion, que ces titres proviennent de Saint-Côme avec une lettre explicative de son beau-frère agriculteur dans cette commune. Il est relâché.

Dans cette lettre, l’auteur écrit que ces actions appartiennent à sa belle-mère, la veuve R. Plus tard, lorsque le juge d’instruction lui parle de la lettre envoyée à Paris, le détenu changera de version et donnera une autre explication impliquant la demoiselle Germaine Drouot, elle-même cambriolée.

Le 11 avril 1899, le parquet d’Espalion est informé qu’un individu demeurant à Saint-Côme, nommé François T., a cherché à faire négocier à Paris les trois actions de chemin de fer de la Compagnie d’Orléans frappées d’opposition.

C’est ainsi que le paroissien François, jouissant de l’estime publique, est arrêté pour le vol de 1898… Cette arrestation en avril 1899 cause une profonde surprise.

Le paroissien François n’est pas causant, il refuse d’admettre ses torts. Le voleur ce n’est pas lui. Le juge d’instruction a du travail !

Le dimanche 4 juin 1899, vers 6 h du matin, une femme de la commune découvre un sac au pied de la statue de la Vierge, qui se trouve à côté de la mairie. Curieuse, elle l’ouvre, et à sa grande stupeur, en sort pour 3.000 f d’obligations et un coffret renfermant des bijoux. Elle s’empresse d’alerter le maire de cette trouvaille. Sitôt informé, le parquet d’Espalion se rend sur les lieux. Ces messieurs constatent que ces valeurs proviennent de vols commis en 1896 au détriment de Germaine Drouot et en 1895 et 1898 des objets volés au chanoine Capely. Concernant le vol de 1898, on retrouve trois obligations de la Banque Hypothécaires, les trois obligations de 500 f chacune souscrites par madame L. et un couteau ainsi que des objets qui ont disparu en 1895, une cassette et une bourse en laine tricolore. Ces objets sont reconnus par le chanoine Capely ainsi que deux porte-monnaies vides, le jour du vol, déposés dans la chambre, ils contenaient l’un 14 f et l’autre une pièce de 20 f, appartenant à la servante du curé. Il y a aussi deux obligations signées Léon C. de 500 f et de 800 f appartenant à la demoiselle Drouot, dérobées en août 1896. En réalité le préjudice est plus important car d’autres obligations ont été volées, une obligation souscrite par C. de 1.000 f ; une obligation de 100 f souscrite par Catherine R. et une obligation de 600 f souscrite par le détenu François. Mais cette obligation ne sera jamais retrouvée !

Pour le juge d’instruction, le malfaiteur peut-être considéré comme coupable des trois vols. François ne dit toujours rien.

Les gendarmes passent la journée à Saint-Côme pour enquêter. Qui a déposé ce sac ? Qui sont les voleurs ?

Le juge d’instruction finit par établir, non sans difficulté, que l’épouse de François a déposé le sac. Pour cela, il mentionne un nommé Mas : cet individu est sorti de la maison d’arrêt d’Espalion le 3 juin 1899, pour se rendre le jour même à Saint-Côme. Certes libéré, l’homme va où il veut, mais connaissant le personnage, il n’a rien à faire dans cette direction, mais il est allé chez la femme de François… Interrogé par la justice, l’homme est peu bavard… Il a informé cette femme «de la part de son mari, de prendre toutes mesures nécessaires pour le faire sortir de prison». La justice doute. Il aurait plutôt été conseillé à cette femme de se débarrasser sur la voie publique du produit des divers vols, pour faire une diversion, le voleur ayant pris peur.

L’épouse de François, interrogée, reconnait qu’aucun étranger n’est venu chez elle ce jour-là, puisqu’un individu lui a acheté des choux, nouvelles pressions du juge d’instruction, et elle avoue que cet individu lui a apporté des nouvelles de son mari. Rien de plus, têtue, elle nie les faits…

Le paroissien François T. comparait en cours d’assises de l’Aveyron à l’audience du 26 septembre 1899 comme accusé de vols qualifiés et de vol simple. Né à Saint-Côme le 27 juin 1857, il a 42 ans au moment de son procès.

Il ne reconnait pas les faits dont on l’accuse, il n’avoue qu’une chose, avoir voulu vendre par l’intermédiaire de son beau-frère trois actions des chemins de fer d’Orléans, ces titres ayant été  donnés à sa femme en juillet 1889 par la demoiselle Germaine Drouot de Saint-Côme.

Cette demoiselle ne peut rien confirmer, puisque décédée le 5 janvier 1899. Bien entendu, il est établi que cette demoiselle ne peut être l’auteur du vol ou être en possession du butin pour le voleur. De plus, cette demoiselle était en mauvais termes avec le couple, de nombreux témoins le font savoir. Avait-elle des soupçons, après le vol perpétré chez elle ? Elle savait très bien que le paroissien François l’avait dénoncée «comme folle et dangereuse».

Pour le juge d’instruction, le voleur n’est autre que François T. pour le vol du 9 juin 1898, pour les autres méfaits, rien… des doutes, mais aucune preuve, aucun aveu…

Une veuve témoigne que le 9 juin 1898, elle a vu François T. descendre la rue du Terral vers 5 h du matin, dans la direction du presbytère, après le départ de la procession, et remonter cette rue à 8 h 30. Elle remarque qu’il était chaussé de sandales et que le bas de son pantalon était mouillé, à son retour. Ce détail confirme ce que la gendarmerie a pu établir : le malfaiteur a escaladé le mur du jardin du presbytère après avoir traversé une prairie non fauchée, mouillée par la pluie de la nuit et de plus, sur le sable du jardin, des traces de pieds restent imprimées, chaussés de sandales.

Une autre femme a parlé avec François T. ce jour-là, après le départ de la procession, et s’est étonnée qu’il aille aux champs par temps de pluie.

Un autre témoin affirme avoir vu François T. ce même jour, remontant la rue du Terral, entre 8 h 30 et 9 h, et précise que son pantalon et sa blouse étaient mouillés.

Le paroissien François a fourni pour son emploi du temps de cette journée, des indications qui se révèlent inexactes.

À propos de l’obligation souscrite auprès de demoiselle Germaine Drouot, François affirme que celle-ci la lui a rendue après paiement et qu’il l’a déchirée. Mensonge ! Quelques jours après ce vol, François fait savoir qu’il n’a pas l’intention de refaire le titre…

Lors de ce procès, dix neuf témoins viennent à la barre, les débats se prolongent jusqu’à 18 h. Le procureur de la République prononce le réquisitoire. Me Maurice Affre, du barreau d’Espalion, défend son client, et, comme à son habitude, fait une excellente plaidoirie.

Les délibérations sont longues. Enfin les jurés rendent leur verdict : François T. est déclaré coupable avec circonstances atténuantes. La cour condamne ce drôle de paroissien à la peine de cinq ans de réclusion.

L’affaire de ces vols se poursuit en décembre 1899, le tribunal correctionnel d’Espalion condamne à 6 mois de prison François T. sous l’inculpation de vol de titres commis au préjudice de demoiselle Germaine Drouot. Toutefois, cette peine est confondue avec celle prononcée par la cour d’assises.

Et pour les autres vols ? En juin 1899, le journal de l’Union Catholique remarque : «Ces vols ont été commis avec, pour les circonstances de temps et de lieu surtout, une ressemblance frappante ; il y a aussi dans l’acte même du vol une manière de voler presque toujours identique».

Alors notre paroissien François en serait-il l’auteur ?

Jean RAGOT

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