Dans les secrets des stations de ski (3/4)
On dit perchman ou perchiste ? La bataille sémantique est lancée. Les pensées s’agitent dans un bruit de fermeture Eclair. Les blousons sont fermés, les chaussures enfilées et les gants passés. Chacun réfléchit à l’énoncé de la question. «Je ne sais pas vraiment… J’ai toujours entendu perchman», répond Théo. «Les perchistes, ce n’est pas plutôt pour les gens qui font du saut à la perche ?», s’interroge Christine.
Les réfractaires aux anglicismes privilégieront le terme de perchiste ou dans sa forme complète, perchiste de remontée mécanique. Les autres favoriseront les perchmans, mot rentré dans les mœurs et les dictionnaires, mais qui fait également référence au métier d’assistant du chef opérateur son. La féminisation des professions a aussi amené des évolutions. Maintenant, il n’est pas rare d’entendre le terme, perchwoman, mais à Laguiole on lui préfère celui de perchgirl. Or, l’intitulé exact de ce métier est celui de technicien de remontées mécaniques.
Attention à la glace
Loin des querelles d’académiciens, les quatre salariés s’élancent à pied ou en ski vers leur poste. Ce jeudi 2 février, il est tout juste 9h. Ils ont 30 minutes pour ouvrir leur téléski avant la venue des premiers skieurs. David arrive devant son cabanon et tourne la clé. Une vague de chaleur s’échappe aussitôt. «On laisse un peu de chauffage pour éviter que les installations gèlent», précise-t-il. Rapidement, il se dirige vers l’armoire où se trouvent toutes les commandes pour démarrer l’infrastructure. Les turbines s’actionnent. Le ronronnement des poulies se met en route. Le téléski du Chalet se réveille. «Il faut l’allumer le plus tôt possible, faire tourner le câble tout en gardant un œil sur le givre», explique David.
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En attendant son collègue pour commencer les tests sur le portillon et le champignon, le perchman installe la signalisation pour protéger le départ de sa gare. Un vocabulaire lié au monde des transports, car ces professionnels dépendent de ce ministère. Ce sont des conducteurs. Leur moyen de locomotion ? Le transport par câble. David déroule un long filet orange. Avec sa massette, il enfonce dans le sol gelé les piquets. Une mesure indispensable pour la sécurité des clients. «C’est fou, tous les jours, on a des skieurs qui terminent dans le filet», s’amuse-t-il.
Bien entretenir sa gare
Le rebond du ressort ponctue les phrases du salarié. Il teste chacune des perches avant de les expédier. Avec son collègue, ils se coordonnent pour effectuer les essais de sécurité. «J’envoie toutes les perches pour vérifier qu’elles ne sont pas gelées. La semaine dernière les températures étaient tellement froides que le givre les figeait en même pas cinq minutes», précise David. C’est sa première saison. «J’aime bien ce téléski. Il dessert la piste verte donc c’est beaucoup de débutants. J’apprécie le fait d’aider les enfants, leur donner des conseils, les voir progresser. C’est un peu physique, mais ça me plaît».
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Entre deux grincements plaintifs de la poulie, les derniers redémarrages de sécurité sont terminés. Le perchman lance à son collègue : «Attention je roule», et l’installation repart. D’un coup de radio, dont les paroles sont inaudibles pour les oreilles profanes, le salarié signale que son poste est ouvert. Avant de rentrer dans son chalet pour compléter, comme chaque matin, la feuille de route sur laquelle les perchistes notent la moindre remarque, David saisit une pelle pour remblayer les endroits qui manquent un peu de poudreuse au niveau de sa gare. Tout doit être parfait pour l’arrivée des clients.
Pas de panne, seulement des sécurités
La station de ski de Laguiole compte dix téléskis. Sept pour le Bouyssou et trois à La Source. Certains d’entre eux sont automatiques comme le Bouyssou 1. En ce début de matinée, c’est Théo qui est à la manœuvre. Contrairement aux grands domaines, les perchmans n’ont pas de remontée attitrée. Ils évoluent sur tous les postes pour éviter la monotonie. La cabane de Théo est plus spacieuse que celle de David. Derrière les fenêtres, il vérifie l’infrastructure. Soudain, après un regard, il sort aussitôt. Une sécurité s’est déclenchée. Quatre perches sont venues d’un coup. Il les expédie à vide en respectant la distance entre chaque tige, soit 20 mètres. «Sinon ça peut faire dérailler l’installation, car il y a trop de poids», révèle Fabienne, «on sait à l’œil, on connaît le moment où il faut envoyer la perche. Pour les nouveaux on a mis un jalon».
Mais, ce matin, les perches du téléski sont capricieuses. Plusieurs fois Théo intervient pour tirer sur l’acier. La glissière est gelée. Il faut appeler la maintenance. Dans la majeure partie des cas, ce que les clients nomment abusivement des pannes, sont les sécurités qui s’enclenchent et interrompent le système. «Heureusement que ça s’arrête sinon il pourrait y avoir un grave accident», prévient-il. «Ici, il faut bien comprendre qu’à cause du climat les matériaux souffrent comme si on se trouvait à 3.000 - 3.500 mètres d'altitude dans les Alpes», révèle Fabienne.
Avoir des yeux partout
C’est Mathurin Chauffour, le chef d’exploitation adjoint, qui monte pour livrer une guerre au gel. Théo est remplacé par Fabienne. Pendant toute l’intervention de la maintenance, la perchgirl distribue les tiges tout en veillant précisément aux mains et à la tête de son collègue. La sûreté est l’obsession des perchistes. Ils écoutent continuellement le bruit des moteurs, vérifient l’absence de givre dans les goupilles, surveillent que les clients ne slaloment pas lors de la remontée… «C’est aussi une sécurité pour nous, car quand les perches sont gelées, il peut nous en arriver deux d’un coup et on peut se blesser», révèle la responsable des oriflammes.
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Ils ont les yeux partout. Discrètement, Fabienne regarde le carré blanc bordé de couleurs que chaque skieur arbore pour montrer qu’il s’est acquitté de son forfait. «Nous sommes le visage de la station. On accueille les visiteurs, les renseigne, les guides… Il y a beaucoup de contact humain dans notre métier. On se doit d’être attentif, surtout pour ceux qui ont des difficultés à prendre les remontées. On ne veut pas les brusquer ni les dégoûter». La perchgirl prodigue ses conseils pour réussir à s’élancer vers les cimes : avoir les skis parallèles, saisir la perche à une main, être gainé et surtout regarder droit devant. Elle estime que pour un débutant — par exemple un enfant de cinq ans — après trois remontées, cet exercice est acquis.
«Le plus bel endroit pour travailler»
Les skieurs sont peu nombreux en ce jeudi matin. Le bruit du téléski change. Il ralentit. Une économie d’énergie bienvenue dans ce contexte de sobriété. Naturellement, les installations possèdent trois vitesses figurées sur l’armoire de contrôle. La V1 est employée pour le démarrage, les débutants ou lorsque le câble est givré. «On peut aussi voir le nombre d’heures pendant lesquelles a tourné le téléski et le nombre de perches qui ont été utilisées. On doit noter ces informations en fin de journée sur notre feuille de route ainsi que les problèmes survenus au cours de l’utilisation», précise Fabienne. C’est la deuxième saison de la perchgirl.
Elle ne tarit pas d’éloges sur sa direction ou ses collègues. Elle dépeint avec passion l’ambiance familiale qui règne sur ce domaine glacé. «C’est le plus bel endroit au monde où travailler». Une vision partagée par Christine dont c’est la première saison. Après une carrière en tant qu’infirmière et maîtresse d’école, elle a décidé de changer de vie. «Je suis amoureuse de l’Aubrac, j’aime être dehors, à l’air libre et dans les vacances des gens», sourit la jeune recrue. Entre le téléski des Murs, où elle est en poste aujourd’hui, et le chalet, un câble noir trace son chemin sur le sol d’albâtre. À son extrémité, une radio. Pas de chance, c’est le moment des pubs. La perchgirl a très vite saisi les subtilités de son métier. «Même si c’est plus physique, je préfère les téléskis manuels, je suis plus proche des gens».
Pour les vacances scolaires, l’équipe va être complétée par deux perchmans supplémentaires. Après sept heures de travail, les perchistes raccrochent leur casquette de conducteur. La journée est terminée.
Aline Amodru-Dervillez
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