Antoine Bouscatel, Victor Alard, Martin Cayla, Georges Soule, Pierre Ladonne, Jacques Berthier, Amadieu, Costeroste, Dufayer, Marginier, etc. tous ces noms évoquent, pour beau-coup d'entre nous, la cabrette et son art, au fil des époques, de son pays natal jusqu'à Paris ou aux quatre coins du monde.
Au moment de l'obtention de cette reconnaissance pour cet instrument emblématique du Massif Central, je pense à eux, disparus bien trop tôt pour nous tous. Je pense à eux bien entendu, mais aussi à tous ces talentueux musiciens qui perpétuent, aujourd'hui, les différentes techniques du jeu de cabrette transmises au fil des générations avec, pour chacun, sa propre sensibilité. Car l'art du cabrettaïre vient de son âme, bien au-delà de l'explicable... et c’est cette diversité qui fait tout le charme de la cabrette et qu’elle ne ressemble, encore à ce jour, à aucune autre cornemuse.
Cette diversité est, également, j’en suis convaincu, source de progrès et nous permet de nous ouvrir aux autres, et s'ouvrir c'est : apprendre à connaître, comprendre, et rassembler. La cabrette est un instrument vivant, elle vit et se développe grâce, et par, l'apprentissage et la transmission. Quels que soient son âge et ses aptitudes musicales, chaque élève d'aujourd'hui est également une pierre à l'enrichissement de ce patrimoine immatériel que je vous invite à partager ici.
À lire aussi : La cabrette, cornemuse de l'Aubrac et star des bals
La cabrette est une passion qui est venue en moi sans l'assentiment de ma volonté... Du plus loin que je me souvienne, j'ai noué une fascination pour cet instrument, fascination qui allait, sans jamais s'en démentir, se transformer en passion. Au point d'apprendre, comme beaucoup de cabrettaïres d'une époque, dans les mains de Georges Soule puis de Pierre Ladonne, deux hommes qui ont marqué de leur empreinte la cabrette. Fasciné et nourri par chacune de nos rencontres, j'ai étudié avec eux sans relâche les différentes techniques du jeu de cabrette. Ils m'ont appris à écouter la cabrette et à m'écouter, à la faire chanter et sonner différemment, à sonder ses mystères au plus profond d'elle-même...
Grâce à eux, la Cabrette est devenu pour moi une source de bonheur ; à chaque fois que je la serre contre moi, elle n'est ni tout à fait elle-même, ni tout à fait une autre...
Aussi, comme un juste retour des choses pour cet instrument qui m'a tant donné, après avoir fait reconnaitre l'association Cabrettes et Cabrettaïres d'intérêt général en 2010, il m'est apparu essentiel, il y a plus de 3 ans maintenant, de faire inscrire la Cabrette à l'Inventaire national du Patrimoine Culturel Immatériel, par le ministère de la Culture. En effet, le patrimoine culturel ne s’arrête pas aux monuments et aux collections d’objets, il comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants grâce à cet outil élaboré par l’Unesco.
C'est donc en 2015, que j'ai entamé les démarches. Les premiers pas ont été difficiles : entre les méandres administratifs et quelques avis peu encourageants ou dubitatifs, le chemin m'apparaissait bien long et incertain. Des premiers allers et retours de dossiers entre le ministère de la Culture et moi-même, durant lesquels parfois, il est vrai, quelques éclairs de doutes m'ont habités. Cependant, grâce aux encouragements de mes proches, de mes amis Cabrettaïres de tous âges, à l'enthousiasme communicatif de mes jeunes élèves, au soutien inconditionnel de Roger Vidal, président de la Veillée d'Auvergne — filiale culturelle de la Ligue Auvergnate et du Massif Central —, aux soutiens écrits des institutionnels que j'ai sollicité, au travail sans relâche de l'Association Cabrettes et Cabrettaïres depuis 62 ans, au collectage et recherches de l'Agence des Musiques des Territoires en Auvergne et au soutien de la Fédération des Acteurs de Musiques et Danses Traditionnelles par la voie de son président Max le Guem au niveau national, le dossier s'est petit à petit construit et étayé.
Je tiens également à remercier mesdames Isabelle Chave — Conservateur en chef du patrimoine au Ministère de la Culture — et Marina Chauliac — conseillère Ethnologie et Sciences sociales de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes — qui ont suivi et orienté mon travail avec tant d'attention.
Grâce à tous ces acteurs, et avec persévérance, le dossier s'est bâti, toujours plus complet, et à chaque fois mieux adapté aux attentes du Comité du patrimoine ethnologique et immatériel du ministère de la Culture, décisionnaire de la validation de l'inscription à cette liste (laquelle rappelons le, ne pourra plus être remise en cause par quiconque).
À lire aussi : La Maison de la Cabrette et des Traditions de l'Aubrac
La date du 7 juillet, marque donc un tournant pour cet instrument à transmission principalement orale au fil des siècles. Durant mon modeste parcours au service de cet instrument, j'ai beaucoup insisté sur l'importance de l'écriture du point de vue cognitif, pour l'histoire et la transmission, tant sur son apprentissage que sur sa fabrication, aux jeunes générations. En effet, ce patrimoine est vulnérable du fait même de sa nature immatérielle c'est à dire qu'il repose principalement sur la transmission des savoir-faire et des traditions par les hommes.
Enfin, je veux, pour terminer, rappeler la convention de 2003, sur laquelle cette inscription ou distinction s'appuie. La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel définit ce patrimoine comme «les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et le cas échéant les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine est garant de la diversité culturelle et sa promotion est nécessaire au dialogue interculturel et à la paix entre les peuples».
Rappelant ceci, et malgré le parcours de ces trois années, la Cabrette m'apparait finalement taillée sur mesure pour cette candidature. Elle souligne en effet le rôle inestimable du patrimoine culturel immatériel comme facteur de rapprochement, d’échange et de diversité. Car la Cabrette est un instrument de vie, et que chacun d'entre nous inventons la vie qui va avec, elle est présente dans tous les actes de la vie.
La reconnaissance actée ce 7 juillet 2018, par décision du Comité du Patrimoine Ethnologique et Immatériel du ministère de la Culture en date du 27 février 2018 n'est donc pas un testament mais bien un véritable passeport pour l'avenir, donc une fierté pour nous tous aujourd'hui, que nous soyons musiciens, danseurs ou amoureux de la cabrette.
«Il n'est pas de destin plus beau que celui de Cabrettaïre...» (G. Soule).
Victor Laroussinie
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.