«Ça a été une aventure pour chacune des pièces de cette collection. Nous avons eu beaucoup de mal, par exemple, à trouver une cornemuse allemande, Hitler ayant ordonné, en son temps, que tous les instruments soient brûlés. Il a aussi fallu feinter pour faire venir le modèle russe, les autorités refusant que des pièces du patrimoine culturel ne sortent du pays. Nous avons eu connaissance de l’existence d’un exemplaire du Rajasthan grâce à un informateur vivant sur l’île de la Réunion...»
Jean-Louis Claveyrole, André Ricros ou le maire André Raynal — qui vient de cesser ses fonctions après 49 ans au service de la commune, dont 37 en tant que maire —, les principaux promoteurs du Musée de la cornemuse du Massif Central, à Cantoin, ont dû déployer beaucoup de patience, de diplomatie, voire de ruse pour parvenir à leurs fins. Ils sont allés jusqu’à solliciter la collaboration de grandes institutions culturelles et patrimoniales du monde ; des musées internationaux ont accepté de faire des dons ; des centres de recherche scientifique ont échangé des informations...
Des histoires comme ça, Jean-Louis Claveyrole en a plein la musette. Pratiquement une par instrument. Et il y a quelque 120 cornemuses de tout le continent européen, de la péninsule ibérique à la Sibérie, de la Scandinavie aux rives de la Méditerranée, dans la nouvelle collection réunie dans les murs de la Maison de la Cabrette de Vines, près de Cantoin. Une collection de cornemuses unique, désormais accessible au public des curieux, des amateurs et des spécialistes, historiens ou musicologues.
La plus grande collection de cornemuses au Monde, évolution et suite logique
«L’idée de cette collection nous est venue assez naturellement, explique Jean-Louis Claveyrole, conservateur de ce qu’il convient d’appeler désormais Musée de la Cornemuse du Massif Central. Tout au long des recherches qui ont été nécessaires pour constituer les collections de la Maison de la Cabrette, nous avons trouvé ici et là des cornemuses provenant de diverses régions et de divers pays. Nous nous sommes dit : pourquoi ne pas continuer ? C’est ce que nous avons fait, au-delà de l’ouverture de la Maison de la Cabrette en 2014.»
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C’est ainsi que, six ans plus tard, Cantoin se retrouve à la tête de la collection de cornemuses la plus riche au monde : 200 cabrettes, 150 cornemuses du monde, 600 références au total, qui proviennent, pour l’essentiel, de la collection réunie par André Ricros, cabretaïre, collecteur et directeur de l’Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne (AMTA) à Riom (Puy-de-Dôme).
Pour accueillir cet ensemble, il a fallu pousser les murs de la Maison de la Cabrette. Une extension a été construite, de nouvelles salles d’exposition ont été aménagées, la réserve a été agrandie, la scénographie a été repensée.
L’exposition initiale, consacrée aux cabrettes, cabretaïres et bals musette des Auvergnats de Paris, se prolonge désormais par un voyage à travers tout le continent européen : la France et ses régions, l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est, le Bassin méditerranéen et le monde indo-persan. Le visiteur est ainsi emmené partout où l’on a joué et où l’on joue encore de la cornemuse.
Les collections présentent des instruments riches et sophistiqués, comme les musettes de cour, avec leurs ornements en ivoire, leurs velours précieux, et d’autres infiniment sommaires, faits d’une vessie et d’un tuyau simple. Le musée présente également une reconstitution de l’atelier d’un luthier, à partir des outils véritables d’un fabricant qui était installé dans le Cantal.
L’extension abrite une exposition consacrée à l’histoire de l’accordéon, de la vielle et du violon, trois instruments qui ont accompagné la cornemuse et la cabrette.
Musiques et mythologies de la musette
Loin d’être figé et immobile, le Musée de la Cornemuse du Massif Central dispose également d’un très riche fonds de documents audiovisuels. La plupart d’entre eux proviennent des collections de Jean-Dominique Lajoux, photographe et cinéaste qui a participé, dans les années soixante, à un programme de recherche du CNRS sur l’Aubrac.
Pour plus de vie, encore, des facteurs et cabretaïres réunis par Jean-Louis Claveyrole peuvent proposer des démonstrations dans un atelier vivant de fabrication. Et puis il y a les innombrables récits que le conservateur du musée (ou André Ricros, quand il se rend à Cantoin) se fait un plaisir de partager avec les visiteurs. Car chaque pièce des collections a une histoire.
Comme la zampogna gigante, la plus grande cornemuse du monde, venue d’Italie, avec son tuyau de plus de 1,60 mètre. Ou comme la gaita de boto aragonaise, dont la légende dit qu’elle aurait été conçue par un grand gaitero dont la fille serait morte d’une morsure de serpent pendant qu’il animait une fête. Bouleversé de chagrin, il aurait alors couvert le sac de l’instrument avec l’une des robes de sa jeune fille pour avoir le sentiment de l’étreindre chaque fois qu’il jouait. Il aurait également tué un serpent et recouvert de sa peau les tuyaux de l’instrument. De nombreuses variantes entourent également cet instrument.
D’où qu’elles viennent, la plupart des cornemuses, instruments anciens, très populaires et de culture orale, sont d’ailleurs souvent baignées de mythes, légendes et histoires plus ou moins attestées. Au-delà de l’histoire des instruments eux-mêmes, les animateurs du musée ont aussi mille anecdotes, récits et mythologies à raconter sur les cabretaïres et les patrons de bals musettes parisiens, dont certains constituaient une sorte de voyoucratie pratiquant le coup de poing ou de couteau (pour protéger ses affaires contre les mal-intentionnés) et le proxénétisme (parce qu’il faut bien que la chair, ivre de danse et de vin, exulte).
Il y a tout cela au Musée de la Cornemuse du Massif Central. Et bien d’autres choses aussi, uniques au monde.
Philippe Pradal (Terres d'Aubrac n°8 2020)
Le Musée de la Cornemuse du Massif Central, Maison de la Cabrette, se situe dans le village de Vines, à 2,5 km de Cantoin. Renseignements au 06.43.32.48.88 ou maison.cabrette@orange.fr
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