Cependant, l’agitation parisienne, avec la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, ne fut pas sans inquiéter le pays tout entier. Des bruits couraient que des bandes de brigands avaient été engagées par des aristocrates afin de dévaster les campagnes. Ces informations étaient bien entendu erronées. Mais c’est ainsi que naquit la fameuse «grande peur» qui ne manqua pas d’atteindre également Espalion.
Ayral du Bourg et Ayral la Colombe
A cette époque troublée, un homme s’imposa par son charisme, Jean Antoine Ayral du Bourg, avocat au Parlement, qui, par ses discours enflammés, incita la population à lui offrir le poste de premier magistrat de la ville d’Espalion. Par la même occasion, un comité permanent et un conseil militaire furent mis en place. La cité se dota aussi, comme partout ailleurs, d’une garde nationale. Toutefois, la Révolution fut prétexte à des luttes de pouvoir, ou à de simples règlements de comptes. C’est ainsi qu’Ayral du Bourg entra en conflit avec son cousin Ayral la Colombe, major de cavalerie. Leur opposition provoqua, d’ailleurs, une scission entre les habitants. Les uns, prenant parti pour Ayral du Bourg, adoptèrent le nom de «vrais patriotes», tandis que leurs adversaires choisirent de s’appeler les «Anglois». L’affrontement entre les deux factions atteignit son paroxysme ce jour du 30 avril 1790 où Ayral du Bourg eut la mauvaise idée de vouloir désarmer les «Anglois» Cabrières et Bouloud. Les deux hommes, loin d’obtempérer aux ordres de leur maire, entraînèrent celui-ci dans une maison voisine et le passèrent à tabac. Finalement secouru par des patriotes, Ayral du Bourg, le corps meurtri par tant de coups reçus, se fit transporter jusqu’à la maison commune. Souhaitant se venger, il fit arrêter, le 3 juin 1790, plusieurs «Anglois» que la foule en colère réussit néanmoins à faire libérer. N’ayant pas regagné en popularité, bien au contraire, Ayral du Bourg ne pouvait plus sortir sans se faire insulter, les mots «coquin» et «bougre» étant les plus usités à l’égard de sa personne. Finalement, il fallut le départ d’Ayral du Bourg de la ville, nommé procureur syndic du district de Saint Geniez, puis la médiation de deux administrateurs du département, les commissaires Clavières et Debertier, pour que le calme revînt dans la cité. La réputation d’Ayral du Bourg n’en fut pas redorée pour autant. On lui reprocha, notamment, d’avoir fait fortune avec les biens nationaux, s’étant emparé des terres de l’abbaye de Bonneval. On l’accusa même d’avoir taillé des chemises à ses filles dans les toiles peintes prises aux moines ! A ce sujet, précisons que, suite au décret en date du 2 novembre 1789 adopté par l’assemblée constituante pour la nationalisation des biens du clergé, plusieurs édifices espalionnais (ou de la proche région d’Espalion) furent mis à la disposition de la Nation, tels que le monastère de Bonneval, l’église de Perse, le couvent des Ursulines, l’église Saint-Jean-Baptiste (l’ancienne), et les chapelles des Templiers, des Pénitents bleus et des Pénitents blancs. Quelques mois plus tard, la Constituante vota, le 12 juillet 1790, la fameuse constitution civile du clergé qui allait provoquer de graves dissensions dans notre pays, surtout en milieu rural. A Espalion, le curé Jean Joseph Verdier, révolutionnaire convaincu, fut l’un des premiers à prêter serment à cette nouvelle constitution civile du clergé. Rien d’étonnant à cela quand nous verrons le rôle qu’il joua pendant la Terreur. Du reste, il finira apostat. Mais d’autres prêtres, ceux-ci réfractaires, préférèrent perdre leur poste, puis, plus tard, risquer la prison, plutôt que de prêter serment. Ces derniers obtinrent le soutien d’une bonne partie de la population espalionnaise qui, au bord de l’émeute, se faisait un devoir de perturber les offices dirigés par le curé constitutionnel Verdier.
Cependant, la Révolution, se radicalisant, n’en avait pas fini d’apporter son lot de persécutions et de malheurs, même si, en Aveyron, ses effets dévastateurs se firent moins sentir.
Charrier et les Chouans
Dès le 11 juillet 1792, répondant à une alliance austro-prussienne dirigée contre la France (le célèbre manifeste de Brunswick achevant de mettre le feu aux poudres quatorze jours plus tard), l’assemblée législative déclare la «Patrie en danger». Partout en France, les jeunes citoyens s’enrôlent spontanément dans l’armée afin de voler au secours de nos frontières menacées. Espalion n’échappe pas à la règle, deux cents de ses enfants s’étant portés volontaires. Toutefois, cet enthousiasme des débuts retombera bien vite, car partir à la guerre signifie risquer sa vie, revenir mutilé ou, tout simplement, priver sa famille de bras pour le travail des champs. En outre, la famine s’installe, aggravée par les réquisitions permanentes destinées à soutenir l’effort de guerre. Xavier Aldias, avocat et girondin convaincu, est envoyé le 18 mars 1793 à Espalion afin de faire des remontrances à la ville qui, selon lui, ne fournit pas assez de vivres, de souliers ou d’uniformes pour l’armée. Dans le même temps, les mouvements insurrectionnels gagnent notre région, favorisés par la dictature révolutionnaire et l’exécution de Louis XVI (guillotiné le 21 janvier 1793). C’est d’ailleurs ce dernier événement qui poussera Marc-Antoine Charrier (originaire de Nasbinals), notaire et ancien député de l’assemblée constituante, à prendre les armes. Ayant reçu du comte d’Artois le commandement des chouans de la Lozère et de l’Aveyron, il avait commencé à constituer son armée lorsqu’il apprit, au mois de mai 1793, la présence, à Rieutort-d’Aubrac, de sans-culottes venus de Marvejols dans le but de saccager Nasbinals. Bien que son armée fût loin d’être prête, Charrier fondit sur ces «patriotes» et les défit. Continuant sa marche, il s’emparait également de Marvejols, puis entrait dans Mende à la tête de 1.500 hommes principalement armés de piques, de faux ou de simples bâtons. Le 27 mai, l’armée insurrectionnelle reprenait la route pour menacer Saint-Geniez, Saint-Côme, Espalion et Rodez. Le 30 mai, les gardes nationales de ces dernières villes avaient été mobilisées et s’apprêtaient, sous les ordres du Ruthénois Régis Ytié, à stopper l’avancée des «brigands» à Chanac. Charrier, loin d’être impressionné, accepta le combat. Après avoir mis en fuite la cavalerie républicaine, il se dirigea vers le pont d’Esclanèdes que ses escouades de chasseurs expérimentés emportèrent sans trop de peine. Poursuivant les Républicains jusqu’à un château où ils s’étaient réfugiés, il acheva de les mettre en déroute, portant la confusion dans leurs rangs : des détachements affolés se tirèrent mutuellement dessus, pensant avoir affaire à des ennemis. C’est ainsi que périt Poulenq d’Espalion, abattu par des hommes de son propre camp ! Il n’était pas midi que tout était fini. Toutefois, Charrier ne profita pas longtemps de sa victoire. Déjà, des nouvelles provenant de Recoules-d’Aubrac l’informaient que plusieurs armées, venues notamment de Haute-Loire et de l’Ardèche, marchaient sur lui. Devant un tel déploiement de forces, Charrier décida de dissoudre son armée et lui-même partit, avec sa femme et un secrétaire, se dissimuler dans un souterrain. Sa cachette ayant été dévoilée par un traître, il fut capturé dans la nuit du 3 au 4 juin 1793, condamné le 12 juin et guillotiné le 17 juillet.
La faim à Espalion
A cette époque, les Montagnards étaient déjà maîtres de la convention nationale et n’allaient pas tarder à consacrer ce régime de Terreur qui ne prit fin qu’avec l’exécution de Robespierre (le 28 juillet 1794). En attendant, les Espalionnais connaissent la faim, plus de la moitié des habitants manquant de pain selon un rapport en date du 1er octobre 1793. Une situation qui ne fera que s’aggraver, comme le constate le maire de cette commune le 3 février 1794 (15 pluviôse an II), précisant que «les pères et mères l’arrêtaient à tout instant pour lui demander de la nourriture pour leurs enfants». Il est vrai que la «loi du Maximum» du 4 mai 1793, fixant arbitrairement le prix des denrées, ne fit rien pour arranger les choses, incitant au contraire les marchands à fermer boutique et les paysans à laisser leurs terres en friche. A ce manque d’approvisionnement s’ajoutèrent diverses persécutions, des visites domiciliaires aux extorsions en tout genre, en passant par les arrestations arbitraires (les prisons de la ville s’étant retrouvées complètement saturées). Derrière toutes ces exactions se trouvaient la société populaire et le comité de surveillance animés par un homme en particulier : le curé constitutionnel Verdier qui fut, à Espalion, l’un des plus ardents promoteurs de la Révolution et dans ce qu’elle avait de plus tyrannique. Enfin, vint la réaction thermidorienne qui déboucha sur le Directoire, lui-même remplacé par le Consulat qui mit fin à la Révolution. Dès 1800, les préfets et sous-préfets furent mis en place, la ville d’Espalion devenant alors le siège d’une sous-préfecture. Son premier sous-préfet, Bernard Carrié-Cance, aura à cœur de dénoncer les excès de la Révolution dans son premier discours dont nous reproduisons ci-après un extrait : «Lorsqu’on réfléchit sur les divers événements de la Révolution française, on est moins étonné de l’excès de nos malheurs que des moyens érigés alors en systèmes pour consolider la liberté. Comment a- t-on pu penser qu’il fallait la rendre odieuse et sanglante ?»
Pascal Cazottes
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