Le 23 avril 1266, c’est de façon très solennelle que les parties se réunirent dans la chapelle templière d’Espalion afin d’apposer leurs signatures au bas d’un document qui allait changer radicalement la vie des Espalionnais. Naturellement, Bégon de Calmont d’Olt était présent, de même que ses assistants au nombre de six : Guy d’Estaing, Raymond de Montpeyroux, Bérenger de Laguiolle, et trois chevaliers. De son côté, la cité d’Espalion était représentée par plusieurs de ses habitants dont l’histoire nous a conservé les noms de Ramond Rigal, Bernard Bonifacy, Pons Hugonenq et de bien d’autres encore. Après avoir signé ladite charte, les parties prêtèrent serment sur la croix et les quatre évangiles de respecter les coutumes ainsi établies, sous peine de devoir payer la somme de cent marcs d’argent. Le texte établissant les franchises accordées aux Espalionnais avait été négocié et rédigé par trois arbitres choisis d’un commun accord. Deux d’entre eux étaient des chanoines, le troisième arbitre n’étant autre qu’Astorg, le seigneur de Peyre, connu pour sa grande sagesse. Nous donnons, ci-après, un extrait de cette charte, en rappelant partiellement son article premier : «Le Seigneur, Bégon de Calmont, en son nom et au nom de ses successeurs présents et à venir, exempte maintenant et pour toujours des toltes (d’après le »dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle«, le mot »tolte« était synonyme de pillage — NdlA), quêtes et forces tous ceux qui habitent ou qui habiteront à l’avenir son bourg d’Espalion et les dépendances d’icelui déterminées par certaines limites d’affranchissement…». Dans l’article quatre, nous apprenons que le seigneur ne pourra plus, ni personne en son nom, se saisir d’un habitant du terrain affranchi accusé d’un forfait — si ce dernier est capable de donner une caution suffisante — sauf dans les cas où le crime serait considéré comme trop grave ou pour avoir battu une personne de l’entourage du seigneur, soldats y compris. Voilà qui nous donne une idée des arrestations arbitraires dont le seigneur de Calmont d’Olt pouvait auparavant se rendre coupable. Dans l’article huit, il est également fait interdiction au seigneur de Calmont, ou à ses représentants, de se saisir du foin, de la paille, des fruits, des légumes et autres objets appartenant aux susdits habitants, à moins qu’ils n’y consentent. Là encore, nous pouvons imaginer la situation précaire des Espalionnais que le seigneur de Calmont avait le droit de dépouiller selon son gré et, bien entendu, avant l’établissement de ladite charte. Nous noterons aussi l’importance de l’article dix, lequel autorise désormais les Espalionnais à nommer annuellement, le jour de la Saint Jean-Baptiste, deux consuls chargés de préserver de toute atteinte les libertés et les franchises d’Espalion, sans oublier, naturellement, les droits du seigneur. Mais ce n’est pas par générosité d’âme que Bégon de Calmont d’Olt accorda ces droits aux Espalionnais, la charte ayant fait l’objet, pour tout dire, d’une véritable transaction. Les quelques libertés et franchises obtenues par les Espalionnais eurent un prix (rappelé dans l’article vingt de la charte) : dix-sept mille sous rodanois (à noter qu’un sou rodanois — monnaie que faisaient battre les comtes de Rodez – valait huit deniers tournois – NdlA) payables en une seule fois dans l’octave de la prochaine fête des apôtres Pierre et Paul. Pour bien se rendre compte de l’énormité de la somme réclamée par le seigneur de Calmont d’Olt, précisons ici qu’à la fin du XIe siècle, on pouvait acheter une vache avec dix sous rodanois, et qu’au XVe siècle, un setier (environ 156 litres – NdlA) de froment coûtait huit sous rodanois.
On remarquera que, quarante ans plus tôt, soit en 1226, le roi Louis VIII était passé par Espalion lors de sa croisade contre les hérétiques cathares. A cette occasion, Guillaume de Calmont d’Olt fit hommage au roi pour ses terres et châteaux de Calmont, Saint-Santin, Montpeyroux, Castelnau-de-Mandailles, Saint-Côme, Sévérac, Cruéjouls, Roquelaure, Belvezet, Saint-Chély, la Roque, Méallet, Parlan et Sousceyrac.
Nous en venons maintenant à la guerre de Cent Ans qui vit déferler sur le Rouergue les troupes anglaises, suivies des routiers, de triste mémoire. Dès 1346, les Anglais étaient sous les murs d’Espalion et en commençaient le siège. Malgré ses puissantes fortifications — un haut mur d’enceinte que venaient entrecouper des tours à mâchicoulis, six tourelles et autres gabions — la cité dut capituler après une brève résistance. Plusieurs Espalionnais s’enfuirent alors, au nombre desquels se trouvait le juge de la baronnie qui alla trouver refuge à Rodez. Malgré leur supériorité militaire, les Anglais finirent par quitter la ville, sans que l’on sache qui ou quoi avait pu les inciter à déguerpir de la sorte. Toutefois, ceux-ci revinrent après la signature du traité de Brétigny (en date du 8 mai 1360) qui, faisant suite à la défaite de Poitiers (1356) et à la capture du roi de France Jean II le Bon, scellait le sort de notre province, abandonnée aux mains de l’Angleterre. Et il fallut attendre l’imprudente décision du prince de Galles (le prince noir) de lever un nouvel impôt dit de fouage pour voir toute notre contrée se soulever (en 1368) et bouter l’occupant hors de ses frontières. Pourtant, les Espalionnais n’en avaient pas fini de souffrir, étant depuis quelque temps déjà à la merci des grandes compagnies encore appelées bandes de routiers (celle d’Arnaud de Cervole est restée dans les mémoires). Voici la description que nous livre le baron de Gaujal de ces hommes sans foi ni loi : «Ces routiers, en effet, étaient un mélange d’hommes de tous les pays, réunis par l’espoir du butin, qui, pour avoir un prétexte de piller la France, prétendaient être de l’obéissance du roi d’Angleterre, mais qui dans le fait ne reconnaissaient pas de maîtres. Ils s’emparaient et des petites places hors d’état de leur opposer une longue résistance, et des châteaux fortifiés qui leur offraient des asiles inaccessibles ; d’où ils sortaient à des intervalles fort rapprochés pour commettre des ravages, des dévastations, des meurtres, des incendies, des enlèvements de bétail dans une étendue de pays très considérable, et de manière à causer d’irréparables dommages». Devant un tel fléau, les Espalionnais demandèrent à leur seigneur l’octroi d’une nouvelle source de revenus — de manière à pouvoir renforcer les défenses de la cité notamment mises à mal lors du siège de 1346 —, ce à quoi le baron de Calmont d’Olt répondit favorablement, comme en atteste ce document de 1367 dont nous reproduisons, ci-après, un extrait : «Nous, Jean, seigneur des baronnies de Castelnau et de Calmont-d’Olt, savoir faisons à tous ceux qui ces présentes lettres verront : que, recevant favorablement la supplique de nos chers et fidèles consuls de notre ville et lieu d’Espalion, ainsi que d’un grand nombre d’autres habitants de la même localité, nous avons appris qu’ils ont été dépouillés, pillés et réduits à la plus extrême misère ; et que ladite ville a été prise et brûlée par les ennemis et les pillards qui parcourent en tout sens la patrie, et peu après rachetée de leurs mains ; que de plus ils ont été réduits à un tel état de dénuement, qu’ils sont sans moyen aucun de s’acquitter à l’égard de plusieurs créanciers, envers lesquels ils ont contracté des obligations pour le rachat de la ville ; de plus, en outre, qu’il existe dans ledit lieu quelques forts anciens qui réclament d’urgentes réparations pour pouvoir les faire servir à la défense, et qu’ils désirent de plus en construire de nouveaux pour ajouter à leur sûreté, à celle de la ville et de leurs biens, contre l’agression des ennemis ; mais qu’ils ne peuvent mener ces entreprises à bonne fin si l’on ne vient à leur aide et secours. Et à ces fins ils nous supplient qu’il nous plaise leur accorder la gabelle ou souquet, qui doit être imposée par les susdits consuls dans ledit lieu, sur les denrées, les marchandises et les autres objets qui y sont portés pour être vendus et achetés, afin d’en employer utilement le revenu à la réparation des anciens forts et aux nouvelles constructions susdites… C’est pourquoi… nous avons accordé et accordons par ces présentes auxdits consuls… que la susdite gabelle ou souquet soit établie sur les choses de consommation… Donné au château de Calmont, le dernier jour de novembre de l’année 1367». A noter que les routiers quittèrent finalement la région en 1387, grâce au comte de Rodez, Jean III d’Armagnac, qui négocia leur départ moyennant une somme globale de 250.000 francs or.
Dans un prochain épisode, nous évoquerons Espalion aux époques de la Renaissance et des guerres de religion.
Pascal Cazottes
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