Lorsqu’une ville remonte au Moyen Age — comme c’est le cas pour Villefranche-de-Rouergue — et quand cette même ville est parvenue à conserver l’essentiel de son patrimoine, on peut être assuré d’y faire des découvertes d’importance touchant au symbolisme, que celui-ci soit en rapport avec la religion chrétienne ou qu’il ait trait à cette science particulièrement hermétique ayant pour nom "Alchimie". Il est vrai qu’à l’époque médiévale, l’Art n’était jamais gratuit et devait contenir un sens s’exhibant à la vue de tous ou, au contraire, réclamant toute la sagacité de l’observateur dans les cas où ce même sens se trouvait habilement dissimulé. Aussi, l’exploration d’une cité médiévale nous entraîne-t-elle bien souvent dans une véritable chasse au trésor, la perspicacité du chercheur étant sans cesse sollicitée par une sculpture (sur pierre ou sur bois) ou encore une peinture ayant réussi à résister à l’épreuve du temps. Naturellement, Villefranche-de-Rouergue n’échappe pas à la règle, et nous convions maintenant le lecteur à partir avec nous à la rencontre de quelques-uns de ses joyaux.
Développement du bourg
A Villefranche-de-Rouergue, sous-préfecture du département de l’Aveyron, l’objet de notre recherche a pris essentiellement place dans trois édifices religieux : la collégiale Notre-Dame, la chapelle des Pénitents Noirs et la chartreuse Saint-Sauveur. Mais avant de nous lancer dans l’étude de ces bâtiments et de leur contenu, rappelons la naissance de cette cité vieille de près de huit cents ans. D’après Etienne Cabrol (1654-1742), auteur des "Annales de Villefranche-de-Rouergue", un embryon de ville existait déjà au bord de la rivière Aveyron, au lieu-dit "las Teularies". Il ne s’agissait que d’une sorte de petit bourg dont la création avait été voulue, en 1099, par Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse et de Rouergue. Mais malgré les privilèges profitant à la cité, celle-ci ne parvenait pas à se développer, sans doute à cause de son emplacement (sur la rive gauche de l’Aveyron) qui se montrait peu favorable à une expansion. Il fallut donc attendre l’année 1252 (date de la fondation de Villefranche-de-Rouergue) et la volonté d’un homme, Alphonse de Poitiers (frère de Saint Louis et héritier de son beau-père Raymond VII), pour voir une ville digne de ce nom sortir de terre. Pour l’édification de la future bastide — car Villefranche-de-Rouergue est une véritable bastide, construite à partir d’un plan d’urbanisme préétabli — un lieu bien plus propice, situé au nord de la rivière, fut d’abord choisi. Non seulement le relief y était moins accidenté, mais encore l’endroit était-il des plus stratégiques, car situé au croisement d’importantes voies de communication menant aussi bien à Rodez, Millau, Albi et Montauban, qu’à Cahors, Figeac et Aurillac. Ajoutons à ce cadre prometteur, les libertés et autres franchises accordées par Alphonse de Poitiers dès 1256, et on comprendra pourquoi "Francopolis Ruthenorum" (nom latin de Villefranche-de-Rouergue) connut un développement rapide. En effet, marchands et artisans ne tardèrent pas à venir s’y établir, faisant prospérer la cité en même temps que leurs affaires (notons ici que c’est principalement le commerce qui, dans la première moitié du XIVe siècle, assura la richesse de Villefranche). Enfin, signalons que l’origine du nom de "Villefranche" ne doit pas être cherchée bien loin, puisqu’elle provient de ces "franchises" précédemment évoquées. Quant au qualificatif "de Rouergue", celui-ci découle naturellement du nom de la contrée, dont l’étymologie fait référence à la fière tribu celte des Rutènes.
Collégiale Notre-Dame
Nous commencerons notre visite des lieux par un monument occupant une position centrale au sein de la bastide : la collégiale Notre-Dame. D’emblée, nous sommes impressionnés par son clocher-porche haut de 58 mètres. Il s’en dégage une incroyable puissance qui semble vouloir dominer la place de toute sa masse. On se demande, d’ailleurs, ce qui a pu pousser les Villefranchois à édifier une telle tour, aux assises si considérables. Une légende veut que ses concepteurs aient voulu égaler le clocher de la cathédrale de Rodez. Mais il ne s’agit là que d’une belle histoire, même si la collégiale Notre-Dame a, dans son ensemble, des allures de cathédrale. La construction de ce bâtiment hors norme s’étala sur environ trois siècles, la première pierre étant censée avoir été posée au mois d’août 1260. La guerre de Cent Ans fut très certainement responsable des retards pris dans l’érection de cet édifice religieux, les habitants ayant jugé plus utile de se doter de fortifications durant cette période pour le moins troublée. De sorte que les travaux de la principale église de Villefranche ne prirent véritablement de l’ampleur qu’à partir du XVe siècle, comme semble vouloir en attester ce magnifique portail gothique. Après avoir admiré l’extérieur de la collégiale — laquelle tire son nom du chapitre collégial de vingt-six chanoines qui y fut installé en 1448 — il est temps de pénétrer à l’intérieur où nous attendent quelques beaux ornements.
Deux culots sculptés
A peine avons-nous franchi le seuil que nous remarquons deux culots sculptés de belle facture réalisés à la fin du XVe siècle. Le premier, situé à gauche en entrant, représente Abraham sur le point de sacrifier son fils Isaac, mais heureusement arrêté dans son action par l’intervention de l’ange envoyé par Dieu. Cet épisode biblique nous montre la mise à l’épreuve d’Abraham qui, obéissant aveuglément à Yahvé, avait accepté de lui offrir son fils en holocauste. Cependant, la détermination d’Abraham à ne point se dérober aux commandements de Dieu, avait amplement suffi à ce dernier qui, ne souhaitant pas la mort d’Isaac, fit apparaître un bélier pour remplacer le jeune homme dans le rôle de la victime. Dans la symbolique chrétienne, la "ligature d’Isaac" se présente comme une préfiguration du sacrifice du Christ. En effet, de même que Jésus-Christ fut obligé de porter sa croix jusqu’au sommet du Golgotha (le lieu de son supplice), Isaac dut acheminer le bois destiné à son sacrifice jusque sur le mont Moriah. En outre, force est de reconnaître que les deux personnages avaient pleinement accepté leur mise à mort. On notera également que Jésus-Christ, dont le sang fut versé afin de racheter les péchés du monde, fut appelé l’Agneau de Dieu, ce qui n’est pas sans nous rappeler le bélier sacrifié à la place d’Isaac. Enfin, nous savons que le voyage entrepris par Abraham et son fils pour parvenir au mont Moriah nécessita trois jours de marche. Or, ces trois jours, nous ne manquerons pas de les rapprocher des "trois jours" de la résurrection du Christ… D’un point de vue alchimique, le sacrifice d’Isaac a une tout autre connotation. De fait, dans l’optique de l’Art Royal, Isaac est cette materia prima que l’Alchimiste, en l’occurrence Abraham, doit transmuter, avec l’aide de l’ange (l’agent de la transformation), de manière à obtenir la pierre philosophale symbolisée par la toison d’or du mythe grec (souvenons-nous que cette toison était celle du bélier Chrysomallos et qu’un bélier fut justement substitué à Isaac lors du sacrifice).
Quant au deuxième culot (faisant face au premier), il nous montre un homme tenant un singe sous chacun de ses bras, lesdits animaux semblant lire avec intérêt quelque chose d’écrit sur une feuille de papier. Etant donné que les scènes populaires avaient, depuis quelque temps déjà, pénétré à l’intérieur même des édifices religieux, on pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’un simple montreur de singes — un bateleur courant les foires médiévales — exhibant ses animaux savants. Néanmoins, nous nous devons de préciser que, dans l’iconographie chrétienne, le symbole du singe était généralement utilisé afin de représenter l’homme déchu, l’homme dégradé par ses vices. Toutefois, la scène qui s’offre à nos yeux, ne semble pas vraiment avoir ce sens. A bien y regarder, les deux singes n’ont aucune attitude bestiale. Au contraire, ils paraissent prendre du plaisir à lire, faisant ainsi montre non seulement d’une grande intelligence mais aussi d’une certaine éducation. Dans l’Egypte antique, le cynocéphale (singe à museau de chien) servait à représenter le dieu Thot, l’inventeur de l’écriture et le détenteur de la connaissance en général. De sorte que le grand cynocéphale blanc devint très vite, en Egypte, le patron des savants et des lettrés, le scribe divin… Est-ce bien ce message que le sculpteur de la collégiale a voulu faire passer ? Dans ce cas, il aurait fallu qu’il n’ignorât rien du panthéon égyptien, ce qui est difficilement concevable quand on songe à l’époque où cette sculpture fut réalisée : la fin du Moyen Age !
À suivre
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