C’est un repas au restaurant le Saint-Damien, à Saint-Côme, qui a relancé la rédaction d’un article laissé en suspens depuis le premier confinement : en entrée, un haddock fumé agrémenté de copeaux de “Rodez” rappelle à mon souvenir ce fromage, parfois appelé “Vieux Rodez”, dont je fais partie des amateurs. Mais c’est en Italie, dans le talon de la “botte”, entre mers Adriatique et Ionienne, et plus particulièrement autour de Bari et de Brindisi, que l’on consomme 98% des 700.000 tommes produites annuellement par la Société Fromagère et Laitière de Rodez(1) avec 21 millions de litres de lait.
Du lait et des formes
L’histoire commence à la fin des années 1960 : l’Italie du Sud manque de lait et vient s’approvisionner en France, en Bretagne et dans le Sud-Ouest, puis finalement en Aveyron. De ce lait français, guère plus septentrional vu des Pouilles que celui d’Émilie-Romagne, pays du fameux parmigiano-reggiano, les Apuliens(2) faisaient du fromage. À partir de 1967, ce sont des “formes”(3) de 2 mois, plus simples à stocker et à transporter que le lait, que la laiterie ruthénoise élabore sur place pour les affineurs italiens.
Pendant des années, c’est un fromage sans nom qui est fabriqué en Aveyron et affiné dans les Pouilles. Au début des années 80, il prend provisoirement le nom de Toscanello, alors que la Société fromagère s’équipe de hâloirs en 1984, mettant au point un affinage local plus long. Ce dernier sera fixé à 7 mois en 1989, année à partir de laquelle la commercialisation se fait directement auprès de trois principaux importateurs dans les Pouilles.
Comme le parmesan, le Rodez est un fromage à pâte pressée issu de lait de vache cru, auquel on adjoint une part de lait écrémé pasteurisé pour favoriser le rapage fin. 13 litres de lait sont nécessaires pour faire un kilo de fromage. Les tommes, qui pèsent environ 2,5 kg, sont huilées régulièrement durant l’affinage.
Pour Sébastien Chanson, responsable d’exploitation de l’atelier des pâtes pressées de la Société Fromagère, le Rodez, qui peut s’affiner au-delà de 7 mois, "a un goût qui peut aller jusqu’au piquant, et un fruité intéressant, un peu différent du parmesan". Il est également un peu plus salé que son cousin reggiano, et coûte beaucoup moins cher : en moyenne une vingtaine d’euros le kilo contre trente pour le parmesan (en France).
Italien jusque dans les “polpette”, avé l’accent
Avec le temps, le fromage retrouve un peu de son pedigree aveyronnais : le terme de Toscanello n’est guère employé en Italie, et la légende veut que ses importateurs lui aient progressivement donné le nom qui figurait sur les camions aveyronnais, c’est-à-dire “Rodez”, une explication qui paraît plausible. Le nom apparaît officiellement en 1991, avant d’être déposé en 1994 avec l’accord de la municipalité ruthénoise, et de venir marquer les tommes.
Comme l’écrit le journaliste italien Giampiero Valenza, le formaggio Rodez "est tellement populaire dans les Pouilles qu’on peut croire que c’est un produit local". Il raconte également qu’il s’est fait apulien jusque dans l’accent. En 2001, dans le premier spot publicitaire italien, alors qu’il est mis en scène dans les hâloirs ruthénois et avec les fameuses orecchiette(4) à la tomate, on prononce encore “Rodèz” à la française. Mais l’année suivante, sur fond de paysage des Pouilles et de bord de mer, il est râpé sur des pâtes à la tomate par une belle Méditerranéenne cheveux au vent et devient “Ròdez”, avé l’accent tonique sur le “o”, agrémenté du slogan “La forma del benessere mediterraneo” (“Le fromage (ou la forme) du bien-être méditerranéen”).
En 2012, nouveau spot et nouveau slogan : “Ròdez, il giusto sapore nella cucina pugliese” (“Rodez, la bonne saveur dans la cuisine des Pouilles”).
Le Rodez est loin des 140.000 tonnes de parmesan produites annuellement, dont 90.000 sont consommées en Italie, mais avec ses 1.700 tonnes écoulées dans une zone, entre Bari et Salento, qui compte moins d’un million d’habitants, c’est tout naturellement qu’il fait aujourd’hui partie intégrante de la recette des traditionnelles boulettes à la viande des Pouilles, les polpette fritte, ou encore de nombreux ripieni (farces, farcis divers)(5). On le trouve également conditionné en paquets de 100 grammes déjà râpé, mais uniquement en Italie.
Quant aux 2% restants de la production, soit 35 tonnes environ, ils sont vendus en France et en Espagne. "On dit que c’est pour des Italiens expatriés…", explique Sébastien Chanson, même si, autour de Rodez et jusque dans le Nord-Aveyron, les restaurateurs et particuliers qui utilisent le Rodez sont de plus en plus nombreux, Italiens ou non.
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(1)La Société Fromagère et Laitière de Rodez, anciennement Valmont, appartient au groupe Lactalis depuis 1991 et produit, entre autres, le Rondelé, Lou Pérac et le Bleu des Causses. Elle emploie 240 à 270 personnes selon les périodes de l’année.
(2)Apuliens, gentilé français de Pugliesi, habitants des Pouilles (Puglia).
(3)Le terme “forma”, commun à l’occitan et à l’italien, a donné le français “fourme”.
(4)Pâtes en forme de petites oreilles originaires des Pouilles et de la Basilicate.
(5)On peut utiliser le Rodez dans de nombreuses recettes de farcis, ou encore dans la salade, sur la viande ou le poisson en carpaccio, et bien entendu sur les pâtes !
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