Par cet après-midi ensoleillé et enneigé du 19 décembre, la famille profitait d’une sortie dominicale pour parcourir le plateau de l’Aubrac. Après une balade, tout le monde remonte dans la voiture pour rentrer déguster un chocolat chaud devant l’âtre du foyer.
Entre deux conversations, Adrien prend un ton solennel et déclare, "je ne mangerai pas de foie gras à Noël".
Toutes les têtes se tournent dans sa direction comme s’il venait de prononcer un anathème. Il faut dire que cette affirmation nous a surpris. Aucune préparation psychologique, pas d’entrée en matière ni d’introduction, du brut de décoffrage qui a laissé pantois notre famille laguiolaise aux mœurs traditionnelles où le foie gras est toujours présent sur la table pour les fêtes, à l’instar du saumon ou du chapon.
"Tu n'aimes pas le foie gras ?"
Je lui demande benoîtement, "mais, tu n’aimes pas le foie gras ? Je n’étais pas au courant". "Si, ce n’est pas le problème, je ne cautionne pas la technique du gavage, je préfère donc arrêter d’en manger".
Personne n’ose répondre ou commenter. Un silence s’installe.
"Mais ne vous en faites pas, je ne vais pas devenir végan", cette dernière phrase prononcée avec humour a détendu l’atmosphère, la discussion a repris avec légèreté et amusement, évoquant la dégustation d’un autre produit phare pour les fêtes, le champagne.
Il faut avouer que les paroles d’Adrien m’ont fait réfléchir. Peut-on concilier ce produit traditionnel et gastronomique du sud-ouest, originaire d’Alsace, avec les nouvelles mœurs éthiques de la population française ? Si c’est le gavage mécanique qui choque, quelles sont les alternatives ? Existe-t-il des solutions pour produire du foie gras autrement ?
Et la réponse est oui !
En 2019, des recherches menées par l’INSERM, à l’initiative de Rémy Burcelin, ont mis au point un processus de fabrication de foie gras sans gavage des canards et des oies. Les chercheurs ont créé une ferme expérimentale nommée Aviwell, en Ariège. Ils ont sectionné des bactéries naturellement présentes dans l’intestin et le foie des oies qui favorisent le stockage de gras. Ils mélangent ensuite ces bactéries à la nourriture des palmipèdes. Sur France Bleu, le chercheur toulousain explique qu'il n’y "a pas de gavage, c’est un développement progressif. Ça met à peu près six, sept mois, soit un développement naturel qui correspond à peu près à la période à laquelle les animaux sont adultes et vont même se mettre à pondre et donc à s’envoler. C’est à cette période-là que l’on abat les animaux pour les manger".
A lire : Humeur par Précy
Un gavage naturel
Le foie est donc naturellement gras. Le chercheur insiste sur cette notion de “naturellement”, car pour étiqueter son produit sous l’appellation “foie gras”, il est obligatoire, selon la loi, d’avoir eu recours à un gavage mécanique. Ce précieux foie est commercialisé depuis 2019 et se vend environ 1.000 euros du kilo.
Mais d’autres producteurs ont développé leurs propres techniques pour créer un foie gras sans gavage mécanique. C’est le cas de Marcel Metzler, basé à Gueberschwihr en Alsace. Après avoir observé ses oies pendant huit ans, il s’est rendu compte qu’elles se sur-nourissaient d’elles-mêmes, en mangeant entre sept et huit fois par jour.
Le producteur a proposé au lycée agricole de Rouffach (région de Colmar) de mener une expérience d’après ses observations. Entre 2016 et 2017, une soixantaine d'oies ont été élevées en liberté, en leur distribuant à volonté des aliments qui favorisent la production de gras. Résultats, les oies se gavent toutes seules.
C’est un réflexe naturel, les palmipèdes pour préparer leurs corps à la migration se gavent de nourriture. Ce processus est déjà connu sous l’Antiquité et notamment chez les Égyptiens. Marcel Metzler confie à France 3 Régions, "Apicius, un cuisinier romain, pour nourrir ses oies utilisait seulement du vin et du miel, il obtenait des foies de 1,2 kg !". Sur dix oies, elles seront entre sept et huit à donner un foie gras.
A lire : L'origine du foie gras
L'invité de la campagne présidentielle
Un gavage naturel, cela suffira-t-il à convaincre les associations de protection animale ou les sceptiques ? Pas sûr, car même sans action mécanique, on déclenche à l’oie ou au canard une stéatite hépatique. Cependant, cette mouvance est suivie par d’autres éleveurs. Pour les autres, il reste à acheter ou fabriquer son propre foie gras végan, à base de noix de cajou ou de beurre de cacahuète selon les recettes.
La question du foie gras s’invite même dans la campagne présidentielle lorsque des journalistes de France Info ont demandé au candidat écologiste, Yannick Jadot, s’il consommait de cet aliment : "Moi j’en mange du foie gras, mais du foie gras artisanal".
Le 6 décembre, le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, a annoncé bannir le foie gras de tous les événements officiels au nom du “bien-être animal”. Une décision déjà prise par d’autres municipalités telles Grenoble, Strasbourg ou Villeurbanne. Cette décision est vivement critiquée par les producteurs qui se disent "offensés", mais applaudie par les associations de protection animale, PÉTA France ou L214 pour ne citer qu'elles.
En réponse, le jeudi 16 décembre, les édiles des villes du sud-ouest comme Périgueux, Bergerac et Sarlat ainsi que le Président du département de la Dordogne ont déclaré qu’ils continueraient "à servir et mettre à l’honneur ce produit d’exception" selon Sud-Ouest. Les producteurs ont également été défendus par les internautes notamment à travers le hashtag “#jaimelefoiegras”.
A lire : Maison Rus et Fils à Laguiole, Bozouls et Espalion : le goût de l'excellence !
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.