Pour moi, je choisis la mort, / Au fond de mon cœur.
Pour moi, je serai fidèle / A la vraie religion
Au lieu de suivre la loi inique / Votée par une chambre enragée, / Et propre à ruiner le pays.
Extrait d’un cantique composé en prison par Jean-Marie Branellec, curé de la paroisse de Saint-Pol-de-Léon, qui fut guillotiné le 17 avril 1794.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Révolution française fut, dans ses débuts, plutôt bien accueillie par le clergé, et notamment par tous ces prêtres qui, proches du peuple, ne pouvaient qu’être séduits par ces notions de liberté, d’égalité et de fraternité. Le Christ lui-même n’en avait-il pas été, en quelque sorte, le promoteur ? Malheureusement, les politiciens révolutionnaires tombèrent très rapidement dans des dérives impardonnables. Prétendant asservir les consciences en les soumettant à leur volonté, ils n’hésitèrent pas à s’ingérer dans les affaires propres au spirituel en établissant la fameuse Constitution civile du clergé avec l’obligation pour les évêques, curés et autres vicaires de prêter serment d’adhésion à cette même Constitution civile. Les prêtres qui, attachés à leurs devoirs religieux, refusèrent de prêter serment (d’où leur nom de prêtres réfractaires ou insermentés), furent, dès lors, impitoyablement persécutés. Dans notre département, les prêtres insermentés étaient particulièrement nombreux et, bien que soutenus par une grande partie de la population, rares furent ceux qui échappèrent à la vindicte des dirigeants révolutionnaires. En Aveyron, ce sont près de 700 prêtres qui se retrouvèrent emprisonnés, dont 500 connurent les affres de la déportation. Quelques-uns de ces prêtres furent même guillotinés ! Pour bien comprendre les tourments que vécurent ces ecclésiastiques restés fidèles à leur foi, nous suivrons le parcours de l’un d’eux, Jean Antoine Azémar, vicaire à Saint-Agnan, commune de Ségur (dans le Lévézou). Mais, auparavant, rappelons la teneur de ces lois scélérates dont les conséquences furent tragiques, et pas seulement pour les prêtres insermentés.
La Constitution civile du clergé
La loi du 12 juillet 1790 fut celle qui institua la Constitution civile du clergé. Désormais, il n’y aurait plus qu’un évêque par département et les évêques aussi bien que les curés devraient être désignés par l’ensemble des électeurs (que ces derniers soient catholiques ou athées). Le 21 août suivant, cette loi fut complétée par l’Assemblée constituante, laquelle exigea des évêques et des curés qu’ils prêtassent serment à ladite Constitution civile. Voici les termes de ce serment : "Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi". A noter que ce serment devait être fait en présence des officiers municipaux (du lieu de résidence des ecclésiastiques concernés par cet engagement), du peuple et du clergé, ledit serment devant, de surcroît, être prêté purement et simplement, sans explication ni restriction (suivant un décret en date du 4 janvier 1791). Par une autre loi votée le 27 novembre 1790, il était demandé à tout ecclésiastique en fonction (évêque, curé, vicaire, professeur des séminaires et des collèges) de prêter serment dans la huitaine, sous peine d’être considéré comme démissionnaire et immédiatement remplacé par un prêtre assermenté. Mais ceux qui, à Paris, votaient les lois, ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin. Déjà déclarés comme suspects et mis sous la surveillance des autorités suite à un décret du 29 novembre 1791 relatif au nouveau serment à prêter, les prêtres insermentés furent désormais susceptibles d’être déportés selon la loi du 27 mai 1792 qui prescrivait que leur déportation (s’assimilant à un bannissement) pouvait être décidée par le Directoire du département si vingt citoyens actifs du même canton en faisaient la demande. Ainsi, une poignée d’hommes pouvait décider du sort de ces prêtres qui avaient vingt-quatre heures pour quitter le district, trois jours pour sortir du département et un mois pour franchir les frontières du royaume, et ce, sous peine d’un emprisonnement de dix ans ! Une loi du 26 août 1792 durcit encore la répression s’exerçant contre les prêtres réfractaires, prévoyant d’arrêter et de déporter en Guyane française ceux de ces ecclésiastiques qui s’obstineraient à rester en France. Toutefois, ces mesures ne devaient pas s’appliquer aux infirmes et aux sexagénaires, seulement — si l’on peut dire — maintenus en détention dans une maison commune du chef-lieu du département. Mais c’est sans nul doute la loi des 20 et 22 octobre 1793 qui fut la plus effroyable. Nous en reproduisons ci-après quelques extraits : "Les prêtres sujets à la déportation, pris les armes à la main ou munis de quelques signes contre-révolutionnaires, seront mis à mort dans les 24 heures. Sont sujets à la déportation : 1° tous les assujettis au serment de 1790 qui ne l’ont pas prêté ou l’ont rétracté ; 2° tous les ecclésiastiques qui ont refusé ou rétracté le serment de liberté et égalité de 1792 ; 3° tous les dénoncés pour cause d’incivisme par 6 citoyens du canton, seraient-ils d’ailleurs assermentés. Ces 3 catégories d’ecclésiastiques sont tenues, dans le délai d’une décade, de se rendre auprès de leur département. Après ce délai, ils seront arrêtés et conduits devant le tribunal criminel pour être interrogés et mis à mort dans les 24 heures. La déportation, réclusion et peine de mort emporteront la confiscation des biens. Les prêtres déportés volontairement et avec passeport et ceux qui auront préféré la déportation à la réclusion seront réputés émigrés. Tout citoyen est tenu de dénoncer l’ecclésiastique qu’il saura être dans le cas de déportation, de l’arrêter ou faire arrêter et conduire devant l’officier de police le plus voisin. Il recevra 100 livres de récompense. Tout citoyen qui recèlerait un prêtre sujet à la déportation sera condamné à la même peine".
Neuf prêtres guillotinés
Suite à cette loi inique, neuf prêtres aveyronnais (ou ayant exercé des fonctions pastorales en Aveyron) monteront à l’échafaud entre le mois de décembre 1793 et le mois de juillet 1794, dont sept seront guillotinés sur la place du Bourg à Rodez. Une plaque placée en 1927 à l’intérieur de l’église Saint-Amans nous rappelle les noms des prêtres exécutés à Rodez. Il y eut tout d’abord Antoine Desmazes, vicaire de Verlac, commune de Saint-Geniez-d’Olt, qui périt sur l’échafaud, à l’âge de 32 ans, le 19 décembre 1793. Le même jour était exécuté Pierre Durand, curé de Saint-Hilaire, commune de Trémouilles. C’est ensuite Guillaume Trémolières, curé d’Asprières, qui eut la tête tranchée le 17 février 1794 après avoir été découvert à Sévérac-l’Eglise, dans une cachette pratiquée sous un plancher de la maison Boudes. A noter que son hôte fut dépouillé de tous ses biens et exposé pendant plusieurs heures sur l’échafaud pour le seul crime d’avoir essayé de soustraire un prêtre réfractaire à ses poursuivants. Joseph Puech, quant à lui, n’était pas originaire de l’Aveyron mais du Tarn (vicaire de Murat-sur-Vèbre). Quand les prêtres insermentés commencèrent à être persécutés, il décida d’aller trouver refuge dans le Rouergue. Cependant, loin de rester caché, ce prêtre courageux voulut continuer à apporter le secours de la religion aux Aveyronnais qui l’avaient accueilli. Un jour du mois de janvier 1794 où il devait dire la messe à Mounès-Prohencoux, il fut dénoncé par un traître et aussitôt arrêté. Enfermé à Rodez en attendant son exécution qui eut lieu le 21 février 1794, il eut le temps d’écrire une lettre (adressée notamment à sa cousine) dont nous rappelons ici quelques extraits : "… C’est pour la dernière fois que je vous écris et que vous recevez de mes nouvelles. Je n’ai plus que quatre heures de temps à vivre. Il y a environ une demi-heure qu’on a prononcé la sentence qui me condamne à perdre la vie sur l’échafaud… Je quitte ce monde sans regret et sans peine ; le Seigneur me fait cette grâce… je meurs pour le soutien de la religion catholique, apostolique et romaine ; voilà ce qui fait ma consolation et ma joie… Je pardonne bien sincèrement à ceux qui m’ont fait quelque mal, à tous ceux qui sont cause de ma mort. Je prie le Seigneur qu’il nous fasse miséricorde à tous…". Les trois autres prêtres dont les têtes tombèrent, à Rodez, sous le couperet de la guillotine, s’appelaient François Palangié (vicaire de Marnhac, commune de Saint-Geniez-d’Olt, exécuté le 31 mai 1794), Jean Joseph Boscus (vicaire de Naussac exécuté le 3 juin 1794) et Joseph André Boscus (vicaire de Saint-Julien-de-Piganiol, commune de Saint-Santin, exécuté le 3 juin 1794). Durant cette même période, deux autres prêtres aveyronnais montèrent à l’échafaud, mais leur mise à mort eut lieu en dehors du département. Il s’agit du Ruthénois Jean Joseph Caillol (exécuté à Paris le 23 juillet 1794) et de Pierre Delbès (guillotiné à Bordeaux le 3 avril 1794). Ce dernier prêtre, originaire de Laguiole, avait, lors de sa déportation, commis l’imprudence d’écrire à sa paroisse une lettre dont certaines lignes, ci-après reproduites, lui valurent la peine de mort : "Ça n’ira pas ! Il faut un Dieu ! La Nation ne l’a pas fait et elle ne peut le détruire. Règne ce Dieu éternellement ! Amen ! Amen ! Amen !". Mais la déportation des prêtres fit bien plus de morts que la guillotine elle-même. Devant endurer des conditions de détention parfois très difficiles, et bien souvent propices à la propagation des maladies, les prêtres déportés payèrent un lourd tribut, le nombre de leurs morts s’élevant entre 80 et 100. Enfin, il y eut au moins un prêtre qui périt d’une toute autre façon, mais toujours à cause de la persécution organisée par l’Etat. Ce prêtre s’appelait François Castanié. Vicaire à Saint-Félix-de-Lunel, il fut arrêté à Entraygues-sur-Truyère le 29 janvier 1798, lors de la deuxième période de persécution (1798—1799) où l’on demandait aux prêtres de prêter plusieurs serments, dont celui de "haine à la royauté". Dès le lendemain, un petit convoi, constitué de gendarmes et de citoyens, fut chargé de conduire le prêtre Castanié, enchaîné, jusqu’à Rodez. Cependant, un groupe d’hommes, armé de fusils, chercha à le libérer dans les environs de Florentin-la-Capelle. S’ensuivit une fusillade durant laquelle François Castanié fut frappé d’une balle en pleine tête. Mortellement blessé, Castanié décédera le 31 janvier 1798.
À suivre...
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