Marie-Guillemette Emilie de Rodat naquit au château de Druelle, situé à environ 6 kilomètres de Rodez, le 6 septembre 1787. Son père, Jean-Louis Guillaume Amans de Rodat, a convolé en justes noces, le 20 juin 1786, avec Henriette de Pomairols (branche de Ginals). Emilie, qui est la première née d’une fratrie de cinq enfants, aura un destin dont ses parents ne peuvent encore entrevoir l’importance. Comment, d’ailleurs, pourraient-ils se douter que ce bébé qu’ils tiennent affectueusement dans leurs bras deviendra cette sainte tant admirée à travers le monde ? Mais avant d’aborder la vie d’Emilie, laquelle sera canonisée un siècle après son décès, penchons-nous un instant sur ces deux familles de noble lignée dont elle est issue.
La première — les de Rodat — est originaire du Tarn, ayant longtemps occupé le château de Mirandol (aujourd’hui commune de Mirandol-Bourgnounac) jusqu’à ce qu’Antoine de Rodat quitte, vers 1580, le domaine familial pour aller s’installer au château de Druelle à l’occasion de son mariage avec Claire de Cat. Très tôt, les de Rodat occupèrent d’importantes fonctions dans leur nouvelle patrie du Rouergue. Ainsi, Guillaume I er de Rodat, le quadrisaïeul d’Emilie, fut président en la cour présidiale de Rodez. Son fils, Guillaume II, devint conseiller du roi au siège présidial de Rodez. Quant à Guillaume III de Rodat, le grand-père d’Emilie, il occupa le poste de trésorier de France en la généralité de Montauban. Cependant, les de Rodat furent aussi attirés par la carrière ecclésiastique. De sorte que nous trouvons un abbé Pierre de Rodat ordonné prêtre à Rodez vers l’an 1660. Un autre de Rodat, prénommé François, fut curé de Conques (aux alentours de 1670). Les deux sœurs de ce dernier étaient religieuses, de même que les deux tantes (du côté paternel) d’Emilie, dont l’une d’elles fut supérieure du couvent de Notre-Dame de Rodez. La famille de Pomairols, originaire du Dauphiné avant de venir s’établir dans le Rouergue, et plus particulièrement à Villefranche-de-Rouergue, vers la fin du XIV e siècle, ne démérita pas moins que les de Rodat.
Une famille de bienfaiteurs
Nombre de ses membres occupèrent de hautes fonctions (nous trouvons, par exemple, un Jean de Pomairols maître de la monnaie et premier consul de Villefranche en 1523) ou aspirèrent à une carrière religieuse. Mieux, certains Pomairols parmi les ancêtres d’Emilie furent hautement considérés pour leurs actions bienfaitrices. Tel fut le cas de Jean de Pomairols qui, dans la première moitié du XVII e siècle, fut conseiller du roi et juge criminel au sénéchal et présidial de Rouergue. Lorsque la peste se répandit dans le Rouergue en 1628, les Villefranchois virent cet homme se dépenser sans compter afin d’assurer la sécurité de ses concitoyens. Fidèle à son poste, et faisant preuve d’un courage inaltérable face aux divers dangers que ne manqua pas de générer la maladie, il veilla à la sûreté de la ville de Villefranche et assura notamment la protection des biens abandonnés par ceux qui, pris de panique, avaient fui la cité. Mais on se souvint surtout de son inépuisable générosité en ces temps particulièrement difficiles. De manière à soulager toute cette misère engendrée par la pandémie, il donna aux pauvres son mobilier, son linge et jusqu’à ses provisions de bouche ! Voilà un trait de caractère que nous retrouvons chez M. de Ramondy, le père de Mme de Selves (la bisaïeule d’Emilie) dont nous parlerons d’ici peu.
Habitant alors le bourg de Najac, M. de Ramondy avait dépensé une bonne partie de sa fortune pour venir en aide à une population najacoise confrontée à la famine. Ce geste ne fut jamais oublié, au point que les Najacois firent à leurs enfants les recommandations suivantes : "Quand vous passez devant la maison de M. de Ramondy, qu’il y soit ou n’y soit pas, tirez le chapeau : c’est un Dieu sur Terre !". Sa digne fille, Mme de Selves, avait le même élan de générosité pour les pauvres. Du reste, il lui arrivait bien souvent de quitter la table pour aller distribuer aux nécessiteux les mets qu’on venait de lui servir. La même charité habitait sa fille, Mme Marie-Marguerite de Pomairols (1742 - 1831) qui, en plus d’être la grand-mère maternelle d’Emilie, fut celle qui l’éleva véritablement et lui inculqua ces valeurs toutes chrétiennes. Nous verrons, par la suite, le rôle essentiel que joua cette femme dans la vocation d’Emilie. En attendant, rappelons ici un événement étonnant survenu dans la vie de Mme de Pomairols qui, si elle n’avait dû prendre époux, aurait volontiers embrassé la vie religieuse.
Une foi bien ancrée et salvatrice
Peu après son mariage, Marie-Marguerite de Pomairols contracta la petite vérole. Elle fut si gravement malade que son entourage craignit pour sa vie. Mais laissons Emilie nous parler de ce tragique épisode, repris dans son autobiographie : "Un jour où le mal avait empiré, on la vit tout à coup dans une grande agitation ; une sueur abondante survint, on crut qu’elle touchait à son dernier moment, mais bientôt elle ouvrit les yeux et dit :"Je suis guérie, donnez-moi à manger". La première chose qu’on trouva sous la main fut des pralines qu’elle mangea de bon appétit. Elle dit ensuite qu’elle avait vu deux hommes noirs qui voulaient la prendre lorsque, tout d’un coup, une belle dame s’était présentée et leur avait commandé de la laisser. Cette vision lui inspira une tendre dévotion envers la Sainte Vierge ; toute sa vie, elle conserva précieusement le souvenir de ce bienfait qu’elle m’a raconté plusieurs fois". Autre personne à avoir eu une influence non négligeable sur Emilie : Agathe de Pomairols. Cette dernière, sœur de Stanislas de Pomairols et, par conséquent, belle-sœur de Marie-Marguerite de Pomairols, était religieuse de la Visitation lorsqu’elle dut trouver refuge au château de Ginals, domicile des De Pomayrols – de Selves, après avoir été chassée de son couvent par les Révolutionnaires. Ses talents d’enseignante allaient être mis à profit pour l’éducation de la jeune Emilie, à une époque où toutes les institutions chrétiennes d’enseignement — qui étaient alors les seules sources dispensatrices du savoir (avec les curés de campagne) — avaient été purement et simplement supprimées. Enfin, pour en terminer avec la famille de Pomairols, nous nous devons de citer Charlotte de Pomairols, autre sœur de Stanislas qui, si elle n’eut le bonheur de connaître Emilie, puisqu’étant décédée à l’âge de seize ans, avait une réputation de sainteté qu’on ne manqua pas de porter à la connaissance de la petite-fille de Marie-Marguerite. En effet, non seulement l’adolescente passa de vie à trépas dans un parfait état d’innocence, mais encore fut-elle considérée comme bénie par Dieu suite à l’incorruptibilité de son corps qui, on le sait, est souvent l’apanage des saints. On s’aperçut de cette incorruptibilité lorsque les Révolutionnaires entreprirent de violer le tombeau de la famille de Pomairols qui se trouvait dans la chapelle Saint-Nicolas de l’église des Augustins à Villefranche-de-Rouergue. Lorsque le cercueil de Charlotte fut ouvert, les profanateurs purent constater que le corps de la jeune fille était parfaitement intact. Cette vision les impressionna au point de regretter leur geste. Ils n’eurent donc d’autre choix que celui de replacer le cercueil dans son emplacement. Un peu plus tard, soit environ vingt ans après le décès de Charlotte, la sépulture fut de nouveau ouverte lors de travaux destinés à réparer l’église des Augustins. Le corps de cette vierge apparut une nouvelle fois sans la moindre altération, faisant penser que la défunte était juste endormie. Même le ruban de couleur violette qu’elle portait sur la tête avait conservé tout son éclat. Après avoir rappelé l’ascendance de sainte Emilie de Rodat, on comprend mieux ces mots qu’un jour elle prononça : "Je suis d’une famille de saints".
Après ce petit exposé, venons-en maintenant à l’enfance d’Emilie qui, comme nous allons le voir, se déroula principalement à Ginals (faisant autrefois partie du Rouergue mais dépendant aujourd’hui du département de Tarn-et-Garonne).
Lorsqu’Emilie atteignit l’âge de dix-huit mois, sa grand-mère maternelle, Mme Marie-Marguerite de Pomairols, demanda à ce que cette enfant lui soit confiée de manière à soulager sa fille Henriette sur le point d’accoucher de son deuxième enfant, une fille qui sera prénommée Eléonore. On peut donc supposer que les parents d’Emilie n’envisageaient d’être séparés de leur fille aînée que pendant un temps déterminé et, assurément, de courte durée. Cependant, les événements allaient en décider tout autrement. En effet, la Révolution éclata avec toutes les inquiétudes qu’elle ne manqua pas d’engendrer. La proximité de Rodez, avec son foyer de Jacobins, faisait planer un danger tangible sur le château de Druelle (d’autres châteaux de la région de Rodez ne furent-ils pas pillés et incendiés ?). Aussi, les de Rodat, de même que Mme de Pomairols, jugèrent-ils plus prudent de laisser Emilie à Ginals qui apparaissait comme l’endroit le plus calme et donc le plus sûr. C’est ainsi qu’Emilie allait passer les premières années de sa vie en compagnie de sa grand-mère Marie-Marguerite de Pomairols, de sa grand-tante Agathe de Pomairols (la Visitandine) et de son arrière-grand-mère Mme de Selves…
à suivre...
L’auteur tient à remercier ici les sœurs de la congrégation de la Sainte Famille de Villefranche-de-Rouergue pour leur accueil et leur aide dans sa recherche de documents iconographiques, lui ayant notamment permis de prendre plusieurs photos servant d’illustrations dans le présent épisode et les suivants.
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