Trois jours après l’arrestation de Bastide, Bousquier, qui croupissait déjà en prison, demanda à être entendu par le juge d’instruction. Jean Bousquier, portefaix de son état, dont le métier consistait donc à porter des fardeaux, était un homme de peu d’intelligence et, par conséquent, facilement influençable. Il ne serait donc pas étonnant qu'on lui ait donné comme compagnon de cellule un "mouton" au rôle bien défini : convaincre Bousquier de livrer une version de l'histoire semblable à celle qu'avait déjà donnée la petite Madeleine.
Bousquier se raconte
En effet, si le témoignage d'une enfant constituait une avancée dans l'enquête, il importait qu'il soit corroboré par celui d'un adulte et, mieux encore, par les aveux d'un présumé coupable. Le 28 mars 1817, Bousquier fut emmené devant Teulat. Exhorté à parler, Bousquier demeura dans un premier temps silencieux, mais face aux menaces de mort — les magistrats chargés de cette affaire n'hésitant pas à brandir le spectre de la guillotine comme moyen de pression —, il finit par se lancer dans un long exposé au cours duquel il reconnut avoir d'abord été contacté par un certain Bach. Ce dernier lui aurait proposé, deux jours avant l'assassinat de Fualdès, un travail qui, pour n'être pas légal, puisqu'il s'agissait de transporter une balle de tabac de contrebande, ne présageait en rien de ce qu'on allait lui demander de faire en vérité. Le soir du 19 mars, Bach vint le trouver à plusieurs reprises, puis il le décida à le suivre jusqu'à la maison Bancal. Il était alors neuf heures du soir. Ayant pénétré dans la cuisine de cette maison, Bousquier aperçut sur la table un gros paquet enveloppé d'une couverture qu'il ne tarda pas à identifier. Il était clair, en effet, que la pièce de laine contenait un cadavre. Son premier mouvement fut de prendre la fuite, mais les assassins l'en dissuadèrent immédiatement, notamment l'homme le plus grand qui tenait un fusil à la main. Aussi, se retrouva-t-il à porter la dépouille de Fualdès qui avait été placée sur une sorte de civière improvisée. Quatre porteurs furent désignés pour cette tâche. Bancal et Collard se placèrent à l'avant, tandis que Bach et Bousquier se positionnèrent à l'arrière. Bastide, dont le nom sera communiqué à Bousquier ultérieurement, prit la tête de ce bien curieux cortège. Jausion, dont Bousquier ignorait encore le nom au moment de son interrogatoire, fermait la marche en compagnie de Missonnier. Le parcours emprunté défiait toute logique, semblant avoir été rallongé à plaisir afin de ne pas passer inaperçu. Lorsque cette étrange compagnie parvint enfin au bord de l'Aveyron, le cadavre de Fualdès fut précipité dans l'eau, sans même que l'on eût pris la précaution de le lester de pierres de manière à ce qu'il ne remonte pas à la surface. Voilà, encore une fois, un détail très surprenant, surtout si on considère que le crime avait été prémédité. Comment les criminels ont-ils pu commettre une telle erreur ?
Après l'interrogatoire de Bousquier, survint un événement inattendu : l'instruction qui jusqu'ici avait été dirigée par le juge Teulat fut confiée au prévôt, fonction alors occupée par le chevalier de la Salle. De fait, suite à une décision de la Chambre du Conseil, la Cour prévôtale (1) fut désignée comme seule compétente pour juger cette affaire. Cependant, la Cour d'appel de Montpellier annulera cette décision et le meurtre de Fualdès sera finalement jugé devant la Cour d'Assises de Rodez. En attendant, c'est le chevalier de la Salle qui a pris les choses en mains et qui cherche, dans un premier temps, à identifier l'homme de petite taille qui secondait Bastide. En cherchant dans l'entourage de Bastide-Gramont, il remarqua un certain Bessière-Veynac. Ce dernier, notaire (à Rodez) à seulement vingt-six ans, jouissait d'une excellente réputation. Ce qui n'empêcha pas le prévôt de le faire arrêter, le 2 avril 1817, sur les seuls motifs qu'il était le neveu de Bastide et, surtout, de taille très modeste ! Malgré le fait que Bessière-Veynac avait un alibi des plus solides, il restera plus d'un mois en prison et figurera au nombre des accusés du troisième procès dont nous aurons à reparler dans ces mêmes colonnes. Entre-temps, Joseph Jausion, le beau-frère de Bastide, s'était présenté au cabinet du prévôt afin d'exiger la libération immédiate du principal inculpé. Pour l'occasion, il était accompagné de son épouse Victoire, une sœur de Bastide, de la veuve Galtier, une autre sœur dudit Bastide-Gramont, et de Yence, son second beau-frère. Le chevalier de la Salle fut très courroucé par cette entrevue, ne supportant pas d'être qualifié d'incompétent par ses visiteurs. Après avoir mis à la porte les parents et alliés de Bastide, il s'intéressa tout particulièrement au cas "Jausion".
Jausion : blanc ou noir dans cette affaire ?
Or, un témoignage venu fort à propos allait lui permettre d'impliquer l'insolent Jausion dans cette affaire sordide. Mais avant de rappeler ce témoignage capital, disons quelques mots sur ce Jausion qui était agent de change à Rodez. Né en 1768, Joseph Jausion était issu d'une riche et honorable famille. Son père, notamment, était conseiller au présidial de Rodez. En 1802, Jausion convola en justes noces avec Victoire Bastide, la sœur de Bastide-Gramont comme il a été dit plus haut. Grâce à ses activités, Jausion fit rapidement fortune, ce qui, sans doute, lui attira quelques jalousies. En tout cas, il était peu aimé, et même haï. Ne disait-on pas qu'il pratiquait l'usure ? On alla même jusqu'à l'accuser d'un prétendu infanticide ! Les rumeurs qui couraient à son sujet en faisaient, par conséquent, un coupable tout désigné, ou, du moins, un parfait bouc émissaire. Toutefois, il fallait au prévôt un peu plus qu'une mauvaise réputation pour pouvoir mêler Jausion à cette terrible affaire criminelle. Or, les éléments manquants que le chevalier de la Salle appelait de ses vœux lui seraient bientôt servis sur un plateau par les domestiques de Fualdès. Le 5 avril 1817, Guillaumet et Marianne Varès, fidèles serviteurs de l'ancien procureur impérial, révélèrent au prévôt les détails de la visite de Jausion le lendemain matin du meurtre. C'est, en effet, le 20 mars, à huit heures du matin, soit peu après le départ de Bastide, que Jausion se présenta au domicile de Fualdès. Son épouse et sa belle-sœur étaient à ses côtés, et tous trois prétendirent vouloir apporter quelque réconfort à Mme Fualdès, alors que la nouvelle de la mort de son mari commençait tout juste à se répandre dans Rodez. Les domestiques furent quelque peu choqués en voyant le comportement des visiteurs qui se promenaient dans la maison un peu comme s'ils étaient chez eux. Du reste, Jausion n'hésita pas à se rendre dans le cabinet de l'ancien procureur où le bureau sembla retenir toute son attention. Mieux, il essaya d'ouvrir un tiroir de ce meuble. Voyant que ce dernier lui résistait, il demanda à Mme Galtier, sa belle-sœur, d'aller trouver le valet Guillaumet afin que celui-ci lui fournisse un marteau. En guise d'outil de percussion, le domestique lui apporta une hachette dont Jausion se servit avec habileté : après avoir introduit le tranchant de la lame dans un interstice, il donna plusieurs coups sur la tête de l'instrument jusqu'à ce que le tiroir s'ouvre enfin. D'après Guillaumet, Jausion en retira un petit sac rempli d'écus. Voyant que le valet le regardait d'un œil réprobateur, Jausion lui dit aussitôt : "Pour le cas où l’on viendrait apposer les scellés, j’ai enlevé ce sac du bureau et je le porte dans la pièce d’à côté pour que Madame ne manque de rien, mais n’en parlez à personne". Jausion aurait donc agi avec la bonne intention de ne point laisser la veuve Fualdès dans le besoin. Mais le serviteur, quant à lui, interpréta le geste de ce visiteur d’une tout autre manière. Pour Guillaumet, il était clair que Jausion était venu piller son maître, et sans doute serait-il reparti avec l’argent du tiroir si lui-même n’avait pas été présent lors du forcement du tiroir. Convoqué par le chevalier de la Salle, suite aux révélations faites par les domestiques de Fualdès, Jausion, sentant que le prévôt cherchait à l’impliquer dans le meurtre de l’ancien procureur, nia tout d’abord s’être rendu au domicile de ce dernier. Cependant, face à la pression exercée par le magistrat, et étant, qui plus est, bien incapable de contredire les allégations des serviteurs du défunt, Jausion finit par reconnaître qu’il était bien présent dans la demeure Fualdès le matin du 20 mars. Pour expliquer sa présence dans les lieux, il allégua son désir de vérifier si certains effets de commerce, ceux-là même qu’il avait remis à la victime, étaient bien toujours là, leur disparition — ou plutôt leur vol — ayant pu constituer le mobile du crime. Toutefois, Jausion assura que tout était bien en place dans le bureau de Fualdès, contredisant ainsi la déclaration faite par Sasmayous, lequel, rappelons-le, affirma que tout avait été enlevé et qu'il manquait notamment 12.683 francs sous forme d'effets de commerce. Jausion essaya également de se justifier sur ce silence imposé au valet, prétextant avoir voulu, de cette façon, préserver la veuve Fualdès qui ignorait encore, à l'heure de sa visite, les circonstances dramatiques de la mort de son époux. Peu convaincu par les explications de l'agent de change, ou peut-être parce que sa décision était déjà prise avant même de l'entendre, le chevalier de la Salle ordonna la mise en détention de Jausion le 8 avril 1817, comme il fit également arrêter Mme Jausion et la sœur de cette dernière, Mme Galtier.
À suivre…
(1) A noter que les cours prévôtales de la Restauration, chargées de juger sommairement et sans appel les délits politiques, avaient une très mauvaise réputation. Ces juridictions d'exception, établies dans chaque département par la Loi du 20 décembre 1815, étaient effectivement considérées comme très liées au pouvoir royaliste de l'époque et, par conséquent, comme un instrument de la Terreur blanche.
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