La clémence de la justice dont bénéficièrent les auteurs du coup de main de "Mandailles" s'explique en grande partie par la réaction thermidorienne qui, à l'époque, mit un terme à la terreur révolutionnaire. Cependant, cette nouvelle indulgence des tribunaux souhaitant montrer une tout autre image, éloignée des excès du Robespierrisme, eut un effet pour le moins malheureux, en ce sens qu'elle encouragea, un moment, les brigands à exercer leur activité coupable. On vit même de nouvelles bandes se constituer, comme celle qui fut dirigée par Sébastien Levasseur, un coupe-jarret particulièrement intelligent originaire de Saint-Geniez-d'Olt.
À lire aussi : 1793, Pons de Caylus, un Aveyronnais sous la Terreur
Les terribles exactions de Levasseur
Lorsque les brigands ravagèrent de nouveau la région d'Espalion, ils commencèrent par piller quelques fermiers aisés, aptes à leur fournir le ravitaillement (et l'argent) nécessaire. Puis, ils s'attaquèrent à des morceaux beaucoup plus gros, comme ce fut le cas le samedi 23 mai 1795. En effet, ce jour-là, les hommes de Levasseur s'emparèrent de la tour de Masse, où ils se saisirent d'un important butin. Trois jours plus tard, ils se répandaient comme une nuée de sauterelles sur la ferme voisine de Pussac (toujours sur le territoire de la commune d'Espalion). Bien d'autres fermiers dont l'histoire a conservé le nom (Bras, Baduel, etc.) furent les victimes de ces bandits dépourvus de pitié. Bien entendu, les forces de l'ordre leur donnèrent la chasse, ce qui donna lieu à des affrontements sanglants. Débordant largement les environs d'Espalion, les brigands terrorisèrent aussi les régions de l'Aubrac, de Saint-Geniez-d'Olt et de Laissac. Leur témérité (ou leur assurance) était telle qu'ils se permettaient de placarder des affiches dans les villes annonçant leurs futurs forfaits. Ils se sentaient à ce point intouchables qu’un certain Mathat, attaché à ces bandits, n’hésitait pas à se rendre au domicile de ses futures proies pour les menacer d’une prochaine attaque. Or, ces menaces étaient toujours suivies d’actions terribles qui firent, au total, de nombreuses victimes. Ainsi, au mois de juin 1795, Antoine Cassagnes, de Saint-Pierre (commune de Bessuéjouls), périt écrasé à coups de pierres dans la citerne où il s’était caché. Le 5 juillet suivant, ce fut au tour du juge de paix Malet et du citoyen Bastide, habitant la région de Coussergues, de tomber sous les balles des hommes à Levasseur. Non contents d’avoir mis à mort le juge de paix Malet, ils allèrent ensuite rançonner sa veuve, de même que l’aubergiste Marion. Le lendemain, la bande à Levasseur s’en prit au bourg de Laissac dont elle contrôla, dès l’aube, toutes les voies d’accès. A Laissac, les brigands égorgèrent le notaire Gaubert et tuèrent de deux coups de fusil le citoyen Gilhodes. Leur prochaine victime ne fut autre que le gendarme Pons. Ce dernier s’étant barricadé à l’intérieur de sa maison, il refusa catégoriquement de se rendre aux bandits, ne sachant que trop bien le sort qui lui était réservé. Les assaillants mirent alors le feu à sa demeure. Si la famille du gendarme parvint à échapper aux flammes en passant par les fenêtres, lui-même fut retrouvé mort dans la cave où il s’était réfugié, étouffé par les fumées de l’incendie. Les malfaiteurs poursuivirent leurs exactions à Montrozier et à Gages. En ces derniers lieux, seulement quelques maisons, vidées de leurs occupants qui avaient pris la fuite, furent dévalisées. Toujours au mois de juillet, deux habitants de Lassouts furent littéralement massacrés sur ordre de Levasseur.
La Cavalerie en renfort
Après avoir réclamé des renforts à cor et à cri, les autorités locales obtinrent, le 19 juillet 1795, l’envoi de deux escadrons de cavalerie. Malheureusement, la présence de ces nouvelles forces ne permit pas de donner un coup d’arrêt aux ravages commis par ces bandes rebelles qui ne cessèrent de terroriser la région. De sorte que, fin juillet, de nouveaux crimes parvenaient à la connaissance des autorités : l’assassinat de l’aubergiste Cros (de Curlande, commune de Bozouls) et la mise à sac de la métairie de Bonnefon (commune de Saint-Chély-d’Aubrac). A noter aussi, le 12 septembre 1795, la mise à mort du citoyen Raynal, un patriote de Castelnau-de-Mandailles, après que celui-ci eût été torturé pendant de longues heures dans sa propre demeure. En tout, ce sont près de 75 personnes qui, à la fin de l’été 1795, furent les victimes de cette "chouannerie" d’un type particulier. Lorsqu’au mois d’octobre 1795, le Directoire fut mis en place, le nouveau régime eut la ferme intention d’éradiquer une bonne fois pour toutes ces bandes de brigands. Pour ce faire, il envoya en Aveyron une troupe de 3.000 hommes placée sous le commandement du représentant Musset. Face à un tel déploiement de forces, les insurgés royalistes préférèrent éviter la confrontation et allèrent se réfugier dans des cachettes qu’ils savaient introuvables. Après une période d’accalmie qui dura jusqu’à la fin du mois d’octobre, les 3.000 soldats de Musset furent appelés dans d’autres départements (Lozère et Haute-Loire) où la situation s’était dégradée au point de réclamer leur présence. Or, à peine les troupes républicaines avaient-elles quitté la région que les bandits réapparurent. Levasseur et ses hommes furent de loin les plus actifs. Après avoir vainement tenté de s’emparer de la Caisse publique de Saint-Geniez-d’Olt (le 24 novembre 1795) — ayant, d’ailleurs, tué le gardien au cours de cette action —, ils se rendirent, dix jours plus tard, dans une maison située à proximité du village de Mandailles afin de la dévaliser. Fort heureusement, des soldats placés dans ce dernier lieu vinrent les surprendre dans leur opération délictueuse et c’est tout juste s’ils eurent le temps de s’échapper. Toutefois, ce jour-là, un sergent trouva la mort en essayant de les empêcher de s’enfuir. Si Levasseur et ses hommes semblaient insaisissables, un énième coup de main allait cependant leur être fatal. Ayant projeté de s’attaquer à un propriétaire de la région de Saint-Chély-d’Aubrac du nom de Pradel, la bande à Levasseur avait imprudemment évoqué son plan d’attaque devant un mendiant, lequel s’était ensuite empressé de prévenir Pradel. A son tour, ce dernier en avait informé les autorités militaires qui mirent en place un véritable guet-apens. Ainsi, lorsque Levasseur et ses compagnons se présentèrent, le 20 janvier 1796, à la ferme de Pradel, les soldats du capitaine Imbert surgirent aussitôt de la grange où ils s’étaient dissimulés. Très vite encerclés, Levasseur et sa troupe luttèrent ardemment pour sortir de ce piège, mais leurs adversaires, supérieurs en nombre, eurent bientôt raison de leur résistance. Faits prisonniers, ils furent conduits sans tarder à Rodez où une commission militaire les condamna à être fusillés. Leur exécution eut lieu le 30 janvier 1796, sur la place d’Armes de Rodez. Avec la disparition de Levasseur, les insurgés royalistes perdaient un chef emblématique, et il est bien certain que la fin approchait pour ces révoltés devenus des bandits de grand chemin. En attendant, les brigands royalistes continuèrent à semer la terreur, cherchant, dans un premier temps, à venger Levasseur. Pradel, celui-là même qui permit l’arrestation de Sébastien Levasseur, fut la cible privilégiée des insurgés qui, le 7 avril 1796, s’employèrent à brûler tous les bâtiments de sa ferme après avoir mis à sac sa maison. S’ensuivit une série d’assassinats et de pillages qui affecta toute une contrée, de Bozouls à Nasbinals, en passant par Saint-Côme-d’Olt où cinq patriotes trouvèrent la mort sous la main vengeresse des insurgés royalistes. Le mois de juillet fut particulièrement éprouvant pour les habitants de la vallée du Lot où se déroulèrent des crimes plus abominables les uns que les autres. Une fois de plus, la région de Saint-Côme-d’Olt devint le terrain de chasse privilégié des brigands, lesquels s’en prirent notamment au hameau de Cassagnes (ou Cassagnettes ?). En ce dernier lieu, les maisons de Pierre Cayla et de Conquet furent pillées avant d’être dévastées, et leurs occupants eurent tout juste le temps de s’enfuir, à l’exception de la femme de Pierre Cayla qui, capturée, eut à subir les derniers outrages. Devant cette recrudescence de la criminalité, les autorités locales envoyèrent quelques suppliques au gouvernement afin d’obtenir des détachements de soldats supplémentaires. Ayant été entendues, de nouvelles troupes arrivèrent bientôt en Aveyron pour donner la chasse aux brigands. Désormais traqués en permanence, les insurgés royalistes ne trouvèrent plus ni répit ni refuge.
Reddition, amnisite ou l’échafaud
Aussi, quand le général Bonnet leur proposa de rendre les armes en échange d’une amnistie générale, ils n’hésitèrent pas un seul instant à accepter cette offre généreuse. La reddition des royalistes eut officiellement lieu à Séverac, le mardi 30 août 1796. Si la plupart des insurgés rentrèrent dans leurs foyers et s’en tinrent à la parole donnée, il se trouva cependant quelques têtes brûlées pour poursuivre la voie du crime. C’est ainsi que plusieurs autres victimes furent à déplorer. Pour ces brigands, il n’y eut aucun pardon. Rapidement arrêtés et emprisonnés, pratiquement tous trouvèrent la mort sur l’échafaud durant le mois de juin 1797. Quant à ceux qui avaient échappé aux arrestations, ils continuèrent leurs activités coupables pendant encore quelques années. On se souvient, notamment, du coup de main audacieux perpétré par ces insurgés qui, le 21 juin 1800, avaient cherché à s’emparer de la voiture transportant la caisse publique d’Espalion à Rodez. Bien que leur tentative se soldât par un échec, Batut, le conducteur, fut gravement blessé à la cuisse par un coup de fusil. Les auteurs de ce forfait, réfugiés dans un buron de l’Aubrac, furent bientôt débusqués et appréhendés après avoir laissé trois des leurs sur le terrain. Finalement, tous les brigands royalistes finirent par être neutralisés, d’une façon ou d’une autre. Mais le bilan reste lourd pour cette région du Haut-Rouergue qui vécut dans la terreur pendant plusieurs années. On ne compta plus, en effet, les fermes pillées et incendiées, comme il est aussi difficile de connaître le nombre de personnes blessées et/ou violentées. Quant aux morts, ils furent, assurément, une bonne centaine…
À lire aussi : Le Saint-Cômois Ignace Bernard, de la contre-révolution à la Grande Armée
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.