Pierre Eugène Marie Viala vit le jour à Salles-Curan le 8 septembre 1859, à huit heures du soir. Son père, M. Firmin Viala, exerçant la profession de percepteur des contributions directes à Broquiès, un bourg situé à proximité des gorges du Tarn et à seulement une vingtaine de kilomètres de Salles-Curan, voulut donner à son fils une éducation plutôt stricte, telle qu'on la concevait à l'époque. Mais le petit Eugène, à la personnalité déjà bien affirmée, ne tarda pas à se révolter devant la discipline qu'on voulut lui imposer aussi bien à la maison qu'à l'école. Du reste, cet enfant terrible, n'en faisant bien souvent qu'à sa tête, fut très tôt considéré — dès l'école primaire — comme un élève très moyen.
Dans les pensionnats qu'il fréquenta par la suite, notamment celui du lycée de Rodez, où la discipline était omniprésente, l'image qu'il renvoya de sa personne ne s'arrangea guère. En fait, il existait une véritable incompréhension de la part de ses professeurs qui prenaient son esprit rêveur pour de la paresse et furent incapables de déceler en lui de fabuleuses capacités intellectuelles. Aussi, son parcours scolaire se solda-t-il par la remise d'aucun diplôme. Pourtant, ce boulimique de savoir réussit à emmagasiner une foule de connaissances, mais de son propre chef, car il était bien trop indépendant pour apprendre des autres. Encore jeune étudiant, l'artiste pointait déjà en lui, inspiré, semble-t-il, depuis toujours par la beauté des paysages et des édifices de notre Rouergue. Lui-même, d'ailleurs, le reconnut dans cet extrait tiré d'une de ses œuvres écrites, prenant place lors de l’évocation d’une croix celte appelée «le menhir» : «Un jour de mon adolescence, je le vis rougi par un soleil mourant de septembre, au retour d’une chasse avec mes oncles, et je le trouvais si beau d’ensanglantement sur les lignes simples du plateau que, la captivité universitaire étant venue, dans les mornes salles d’étude du lycée de Rodez, j’en élaborais des gouaches tragiques avec du bleu, du rouge et du jaune que m’apportait un externe de chez un marchand voisin. Le proviseur me happa ce chef-d’œuvre et me menaça d’ostracisme. Je n’en continuai pas moins, sous la cloche de mon pupitre, la mise en relief des beautés du terroir». Sa vocation d’artiste peintre étant née, c’est tout naturellement qu’il entra, en 1877, à l’école des Beaux-Arts de Montpellier où il restera jusqu’en 1879. Puis, en 1881, il se rendit à Paris pour suivre les cours de l’académie Julian, une école de peinture et de sculpture créée en 1866 par le peintre Rodolphe Julian. Bien qu’étant dans son élément, Eugène se montra, encore une fois, le plus indiscipliné des élèves. De sorte qu’après avoir appris quelques techniques, il s’émancipa très rapidement de tout mouvement artistique pour suivre son propre chemin. N’ayant aucun maître, Eugène Viala fut davantage considéré comme un autodidacte, aussi bien dans le domaine de la peinture que dans celui de la gravure. Durant son séjour dans la capitale, il exerça plusieurs métiers que nous qualifierons d’alimentaires. En effet, aucun d’entre eux n’eut l’heur de lui convenir, au point qu’il en changeait très souvent. C’est aussi à cette époque, entre 1884 et 1889, qu’il fréquenta les cabarets de Montmartre et de Montparnasse.
Bien qu’ayant peu de goût pour Paris qui ne pouvait lui faire oublier les étendues sauvages de son Rouergue natal, c’est dans cette métropole qu’il rencontra celle qui allait devenir la femme de sa vie : Berthe Ducrochet, originaire de Saint-Geniez-d’Olt. Après l’avoir épousée en 1888, celle-ci lui donnera quatre enfants. Mais la vie parisienne ne fut pas tendre pour le couple qui mangea de la vache enragée plus souvent qu’à son tour. Aussi, Eugène décida- t-il de fuir ce lieu de malheur pour venir s’installer, avec sa famille, à Rodez. Toujours préoccupé par le souci de subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants, Viala devint photographe. Néanmoins, si cette activité le rebuta moins que d’autres, il espérait toujours pouvoir vivre de son art. Aussi délaissa-t-il peu à peu la photographie pour se consacrer de plus en plus à la peinture, à l’aquarelle et, naturellement, à ce qui fera sa renommée : la gravure à l’eau-forte. A Rodez, Eugène Viala n’avait que peu d’amis, seulement quelques poètes et artistes qui avaient su reconnaître son grand talent, le reste de la population ne le regardant qu’avec circonspection, voire une certaine crainte. Il faut dire que son aspect général n’avait rien d’engageant. Que le lecteur en juge : lorsqu’il sortait en fin de journée, drapé dans une longue cape sombre et coiffé de son immuable béret de velours ou d’un feutre cabossé, il impressionnait fortement tous ceux qui le croisaient par son regard d’une intensité peu commune, lequel devenait très vite insoutenable. Ajoutons à cette description une silhouette de haute taille et un visage au nez proéminent sous lequel se développait un bouc noir et touffu se terminant en pointe, et on comprend que le quidam se trouvant sur son chemin ait pu se croire en présence de Méphistophélès en personne ! C’était oublier que derrière cette allure rébarbative se cachait un être à la sensibilité exacerbée. Et c’est cette même sensibilité que l’on retrouva non seulement dans ses peintures et gravures mais aussi dans ses poèmes. Car Eugène Viala, autodidacte de génie, savait à l’occasion manier la plume pour coucher sur le papier des mots parlant au cœur et à l’âme. Voici d’ailleurs, pour exemple, quelques vers tirés de son recueil de poèmes intitulé “Loin des foules” (ouvrage publié en 1896) :
«Il est un arbre mort, là-haut, près des nuages,
Chêne gaulois péri, roi déchu d’autres temps,
Tordant ses bras noueux dans les soirs éclatants,
Cadavre aérien d’une légion d’âges.
A le voir se dresser sur l’espace béant,
Titan désespéré conjurant l’étendue,
Presque humain dans sa forme étrange et morfondue,
On croit le voir pleurer quelque rêve géant».
Mais, par moments, on sent aussi le désespoir poindre dans Viala, lequel a de plus en plus de mal à supporter ce monde et la nature humaine en général :
«Tu dormiras toujours, toujours, au fond de l’ombre,
A l’abri, dans la mort, des bêtes et des gens,
Et tu l’auras trouvé le remède à la haine,
L’asile des parias et des crucifiés…
Qu’il est grand le néant après l’âpre géhenne !
Qu’elle est belle la mort pour les désespérés !».
Cependant, ne nous y trompons pas, Eugène Viala connut également des joies, un bonheur qu’il ne cessa de ressentir au contact de sa contrée rouergate, seule capable de lui offrir des paysages aussi beaux que variés, comme en témoigne cet autre extrait tiré de sa première œuvre littéraire — “A travers le vieux Rouergue” — inspirée d'un voyage effectué dans le département de l'Aveyron : «Ici ( Viala parle de la vallée du Viaur — NdlA), c’est la fraîcheur, ce sont les vertes frondaisons qui tamisent les rayons du soleil… Une végétation luxuriante croît au milieu des rochers, des masses de fleurs et de verdures émergent partout de la terre noire qui s’écroule ; dans les gorges du Tarn, c’est la pierre nue et monstrueuse, superbe et menaçante, toute dorée par le soleil, mais pelée et aride. Ici, c’est le vert et le mordoré… Là-bas, c’est le jaune, le rouge et l’or».
Bien entendu, on ne peut parler de Viala sans évoquer ses fameuses eaux-fortes. S’il sut traduire avec beaucoup de talent, même sous un aspect parfois tragique, la beauté de notre terre rouergate, à l’instar de ces arbres souvent représentés tourmentés, dont les troncs courbés vers le haut ne sont pas sans nous rappeler ces travailleurs de la terre dont l’échine a, elle aussi, fini par plier, Viala se plut également à insérer des sujets mythologiques dans ses compositions, nous rappelant ô combien notre artiste était cultivé. Et puis, il nous a laissé ces vieilles cités, ou seulement un morceau d’elles, nous faisant remonter allègrement les siècles dans un ravissement difficilement descriptible. Assurément, Eugène Viala excella dans l’eau-forte et en fut même un des maîtres. Pour reprendre les mots du critique d’art Arsène Alexandre, il était «au-dessus d’un Meryon ou d’un Bresdin, pas trop au-dessous d’un Rembrandt ou d’un Goya».
Après avoir connu des jours pour le moins difficiles, Eugène Viala profita d'une période plus faste, après que l'industriel et mécène Maurice Fenaille l'eût pris sous sa protection. Ce dernier, en plus de lui avoir procuré un atelier à Neuilly, lui offrit un voyage en Italie. Malheureusement, ces jours heureux ne durèrent pas très longtemps. Victime d'une terrible chute en descendant d'un tramway parisien, il fut rapatrié à Salles-Curan où il décéda le 5 mars 1913 après une longue agonie. Il avait cinquante-trois ans.
L’auteur tient à remercier ici M. Aurélien Pierre, directeur des musées de Rodez agglomération, pour les documents iconographiques qui illustrent le présent article. Il tient aussi à rappeler que l’ouvrage de Jean Costecalde — le “Catalogue raisonné de l'œuvre gravé d'Eugène Viala” (632 pages, 635 illustrations) — est notamment disponible au musée Fenaille, à Rodez, au prix de 59 €.
Des débuts difficiles
Dans les pensionnats qu'il fréquenta par la suite, notamment celui du lycée de Rodez, où la discipline était omniprésente, l'image qu'il renvoya de sa personne ne s'arrangea guère. En fait, il existait une véritable incompréhension de la part de ses professeurs qui prenaient son esprit rêveur pour de la paresse et furent incapables de déceler en lui de fabuleuses capacités intellectuelles. Aussi, son parcours scolaire se solda-t-il par la remise d'aucun diplôme. Pourtant, ce boulimique de savoir réussit à emmagasiner une foule de connaissances, mais de son propre chef, car il était bien trop indépendant pour apprendre des autres. Encore jeune étudiant, l'artiste pointait déjà en lui, inspiré, semble-t-il, depuis toujours par la beauté des paysages et des édifices de notre Rouergue. Lui-même, d'ailleurs, le reconnut dans cet extrait tiré d'une de ses œuvres écrites, prenant place lors de l’évocation d’une croix celte appelée «le menhir» : «Un jour de mon adolescence, je le vis rougi par un soleil mourant de septembre, au retour d’une chasse avec mes oncles, et je le trouvais si beau d’ensanglantement sur les lignes simples du plateau que, la captivité universitaire étant venue, dans les mornes salles d’étude du lycée de Rodez, j’en élaborais des gouaches tragiques avec du bleu, du rouge et du jaune que m’apportait un externe de chez un marchand voisin. Le proviseur me happa ce chef-d’œuvre et me menaça d’ostracisme. Je n’en continuai pas moins, sous la cloche de mon pupitre, la mise en relief des beautés du terroir». Sa vocation d’artiste peintre étant née, c’est tout naturellement qu’il entra, en 1877, à l’école des Beaux-Arts de Montpellier où il restera jusqu’en 1879. Puis, en 1881, il se rendit à Paris pour suivre les cours de l’académie Julian, une école de peinture et de sculpture créée en 1866 par le peintre Rodolphe Julian. Bien qu’étant dans son élément, Eugène se montra, encore une fois, le plus indiscipliné des élèves. De sorte qu’après avoir appris quelques techniques, il s’émancipa très rapidement de tout mouvement artistique pour suivre son propre chemin. N’ayant aucun maître, Eugène Viala fut davantage considéré comme un autodidacte, aussi bien dans le domaine de la peinture que dans celui de la gravure. Durant son séjour dans la capitale, il exerça plusieurs métiers que nous qualifierons d’alimentaires. En effet, aucun d’entre eux n’eut l’heur de lui convenir, au point qu’il en changeait très souvent. C’est aussi à cette époque, entre 1884 et 1889, qu’il fréquenta les cabarets de Montmartre et de Montparnasse.
Retour au pays
Bien qu’ayant peu de goût pour Paris qui ne pouvait lui faire oublier les étendues sauvages de son Rouergue natal, c’est dans cette métropole qu’il rencontra celle qui allait devenir la femme de sa vie : Berthe Ducrochet, originaire de Saint-Geniez-d’Olt. Après l’avoir épousée en 1888, celle-ci lui donnera quatre enfants. Mais la vie parisienne ne fut pas tendre pour le couple qui mangea de la vache enragée plus souvent qu’à son tour. Aussi, Eugène décida- t-il de fuir ce lieu de malheur pour venir s’installer, avec sa famille, à Rodez. Toujours préoccupé par le souci de subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants, Viala devint photographe. Néanmoins, si cette activité le rebuta moins que d’autres, il espérait toujours pouvoir vivre de son art. Aussi délaissa-t-il peu à peu la photographie pour se consacrer de plus en plus à la peinture, à l’aquarelle et, naturellement, à ce qui fera sa renommée : la gravure à l’eau-forte. A Rodez, Eugène Viala n’avait que peu d’amis, seulement quelques poètes et artistes qui avaient su reconnaître son grand talent, le reste de la population ne le regardant qu’avec circonspection, voire une certaine crainte. Il faut dire que son aspect général n’avait rien d’engageant. Que le lecteur en juge : lorsqu’il sortait en fin de journée, drapé dans une longue cape sombre et coiffé de son immuable béret de velours ou d’un feutre cabossé, il impressionnait fortement tous ceux qui le croisaient par son regard d’une intensité peu commune, lequel devenait très vite insoutenable. Ajoutons à cette description une silhouette de haute taille et un visage au nez proéminent sous lequel se développait un bouc noir et touffu se terminant en pointe, et on comprend que le quidam se trouvant sur son chemin ait pu se croire en présence de Méphistophélès en personne ! C’était oublier que derrière cette allure rébarbative se cachait un être à la sensibilité exacerbée. Et c’est cette même sensibilité que l’on retrouva non seulement dans ses peintures et gravures mais aussi dans ses poèmes. Car Eugène Viala, autodidacte de génie, savait à l’occasion manier la plume pour coucher sur le papier des mots parlant au cœur et à l’âme. Voici d’ailleurs, pour exemple, quelques vers tirés de son recueil de poèmes intitulé “Loin des foules” (ouvrage publié en 1896) :
«Il est un arbre mort, là-haut, près des nuages,
Chêne gaulois péri, roi déchu d’autres temps,
Tordant ses bras noueux dans les soirs éclatants,
Cadavre aérien d’une légion d’âges.
A le voir se dresser sur l’espace béant,
Titan désespéré conjurant l’étendue,
Presque humain dans sa forme étrange et morfondue,
On croit le voir pleurer quelque rêve géant».
Mais, par moments, on sent aussi le désespoir poindre dans Viala, lequel a de plus en plus de mal à supporter ce monde et la nature humaine en général :
«Tu dormiras toujours, toujours, au fond de l’ombre,
A l’abri, dans la mort, des bêtes et des gens,
Et tu l’auras trouvé le remède à la haine,
L’asile des parias et des crucifiés…
Qu’il est grand le néant après l’âpre géhenne !
Qu’elle est belle la mort pour les désespérés !».
Cependant, ne nous y trompons pas, Eugène Viala connut également des joies, un bonheur qu’il ne cessa de ressentir au contact de sa contrée rouergate, seule capable de lui offrir des paysages aussi beaux que variés, comme en témoigne cet autre extrait tiré de sa première œuvre littéraire — “A travers le vieux Rouergue” — inspirée d'un voyage effectué dans le département de l'Aveyron : «Ici ( Viala parle de la vallée du Viaur — NdlA), c’est la fraîcheur, ce sont les vertes frondaisons qui tamisent les rayons du soleil… Une végétation luxuriante croît au milieu des rochers, des masses de fleurs et de verdures émergent partout de la terre noire qui s’écroule ; dans les gorges du Tarn, c’est la pierre nue et monstrueuse, superbe et menaçante, toute dorée par le soleil, mais pelée et aride. Ici, c’est le vert et le mordoré… Là-bas, c’est le jaune, le rouge et l’or».
Bien entendu, on ne peut parler de Viala sans évoquer ses fameuses eaux-fortes. S’il sut traduire avec beaucoup de talent, même sous un aspect parfois tragique, la beauté de notre terre rouergate, à l’instar de ces arbres souvent représentés tourmentés, dont les troncs courbés vers le haut ne sont pas sans nous rappeler ces travailleurs de la terre dont l’échine a, elle aussi, fini par plier, Viala se plut également à insérer des sujets mythologiques dans ses compositions, nous rappelant ô combien notre artiste était cultivé. Et puis, il nous a laissé ces vieilles cités, ou seulement un morceau d’elles, nous faisant remonter allègrement les siècles dans un ravissement difficilement descriptible. Assurément, Eugène Viala excella dans l’eau-forte et en fut même un des maîtres. Pour reprendre les mots du critique d’art Arsène Alexandre, il était «au-dessus d’un Meryon ou d’un Bresdin, pas trop au-dessous d’un Rembrandt ou d’un Goya».
Après avoir connu des jours pour le moins difficiles, Eugène Viala profita d'une période plus faste, après que l'industriel et mécène Maurice Fenaille l'eût pris sous sa protection. Ce dernier, en plus de lui avoir procuré un atelier à Neuilly, lui offrit un voyage en Italie. Malheureusement, ces jours heureux ne durèrent pas très longtemps. Victime d'une terrible chute en descendant d'un tramway parisien, il fut rapatrié à Salles-Curan où il décéda le 5 mars 1913 après une longue agonie. Il avait cinquante-trois ans.
L’auteur tient à remercier ici M. Aurélien Pierre, directeur des musées de Rodez agglomération, pour les documents iconographiques qui illustrent le présent article. Il tient aussi à rappeler que l’ouvrage de Jean Costecalde — le “Catalogue raisonné de l'œuvre gravé d'Eugène Viala” (632 pages, 635 illustrations) — est notamment disponible au musée Fenaille, à Rodez, au prix de 59 €.
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.