À 1.340 mètres d'altitude, la bâtisse trône majestueusement au cœur de son écrin de verdure. Une brise légère caresse sa façade de pierres sèches et grises. La porte est entr'ouverte. La cheminée est séculaire, l'évier en pierre, les vieux meubles patinés par les affres du temps, tout respire l'authenticité.
Sur la grande table en bois, le pain frais, le beurre et la bonne odeur de café en témoignent : ici, il y a déjà de l'activité.
Un buron unique au monde
Ce matin-là, ce sont Marc Balmette et Gérard Balitrand qui m'accueillent. Ils sont “montés” de Saint-Côme (où ils résident) pour gérer leur troupeau et, en prime, s'émerveiller de la lumière et des paysages de cet Aubrac qu'ils ont chevillé au corps. Ils sont fiers de faire partie d'une si belle aventure : la renaissance de ce buron. Jean-Paul Serre est l'heureux propriétaire de ce bien familial et des six parcelles (60 hectares) qui l'entourent. Un buron qui, chaque été, retrouve sa superbe d'antan. "Nous nous sommes constitués en GIE (groupement d'intérêt économique) et sommes cinq associés: Jean-Paul, Gérard, Ugo Diaz, mon frère Jean-Louis et moi. Nos trois salariés Léna, Ugo et Pierre vivent au buron de juin à début septembre. Trois mois durant lesquels, Gérard et moi, nous détachons du groupe Jeune Montagne, pour traire nos vaches ici", explique Marc.
Leur troupeau de soixante-huit Simmental, vaches à robe blonde qui sont les laitières de l’Aubrac, fournissent matin et soir leur lait, transformé, sur place, en fromage et beurre. Les tomes vieillissent dans la cave du buron. Un processus qui mérite bien l'appellation “Laguiole Buron”. "Que nous sommes les seuls au monde à fabriquer ! C'est rare et exceptionnel !" s'amuse, fièrement, Marc. C'est ainsi que, chaque saison, sept tonnes de fromage sont produites ici.
Léna, très à l'aise sur le plancher des vaches
D'ailleurs, Léna s'affaire depuis six heures et demie du matin auprès des bovines. Alimentée par un groupe électrogène, la salle de traite — d'une capacité de 6 vaches — a cette particularité d'être mobile. Par un habile concept de démontage et remontage, tous les 3/4 jours en cas de pluie, toutes les semaines et demie sous des cieux plus cléments, la cabane suit le troupeau dans sa pâture. Scène d'un petit théâtre ambulant et gratuit dont les estivants sont friands. Léna, c'est une blondinette qui en a sous la pédale : hors saison elle est chauffeur-livreur. Mais pour vivre pleinement sa parenthèse enchantée au cœur de l'Aubrac, elle fait rimer trayons et passion. Après la traite, elle chevauche le tracteur pour acheminer le précieux nectar jusqu'à la fromagerie. Reste encore à nettoyer la cabane de traite...
Titulaire d'une licence pro en gestion des espaces naturels, riche d'expériences de salariée agricole ou au service remplacement Jeune Montagne, la jeune femme poursuit sa journée par des travaux d'entretien avec une énergie et un enthousiasme débordants. A 16 heures s'effectue la seconde traite journalière : 15 à 20 litres par jour et par vaches. Puis, il faut à nouveau nettoyer le matériel de traite...
Ugo, la crème du fromager
Dès 6h30 Ugo, le fromager, le c antalès, est à son poste. Il est salarié de Jeune Montagne, mais en disponibilité l'été. "L'aubaine, de mi-mai à mi-septembre depuis 2016, est pour moi de travailler en toute autonomie et sur tous les postes" confesse le jeune papa, titulaire d'un BTS production animale et produits alimentaires.
La fromagerie devient, alors, son antre estival. Ici s'écume le petit lait du caillé comme s'égrènent les secondes. Ugo presse, tranche, presse, retranche, d'un geste sûr et régulier. Le caillé sans sel devient tome fraîche. Le caillé salé devient laguiole (fourme de 50 kg) ou fourme du buron (25 à 30 kg). Pour ce faire, il est mis sous presse dans de grands moules tapissés de toile de lin durant 48 heures, le temps de la parfaite alchimie. La crème après son passage dans la baratte devient beurre. Matin et soir après la traite, il fait, avec une bonne dose de dynamisme, de son quotidien tout un fromage !
Entre la poire et le fromage
La première pause matinale est pour l'équipe celle du petit déjeuner, sur les coups de 8 heures. Entre la poire et le fromage (forcément !), on discute du quotidien, des travaux mais aussi on échange sur les projets. "Chacun apporte son savoir-faire, c'est enrichissant et valorisant, de ce partage naît souvent une idée qui en amène une autre. Ce n'est pas toujours réalisable mais cela nous permet aussi de nous améliorer au fils des ans", raconte Marc.
S'en payer une bonne tranche
A l'heure ou le soleil est au zénith, Le petit panneau de bois à l'entrée du chemin caillouteux conduit cyclistes, camping-caristes, touristes jusqu'au buron. Ces dames niçoises veulent un morceau fromage pour pique-niquer, ce couple de Périgourdins achètent une tranche à emporter comme ultime souvenir de vacances, ces Ruthénois s'interrogent : "Peut-on aussi en trouver à Rodez ?" Oui, la production du buron s'exporte de Rodez à Bozouls, d'Espalion à Saint-Côme, mais aussi dans des épiceries locales du 48, du 12 du 15, à Toulouse ou Lyon et même à Paris !
Pierre, des valeurs et du bonheur !
Aujourd'hui, Pierre, le troisième salarié, joue le vendeur : une balance, un petit comptoir, un frigo et... un large sourire. Pas besoin de longs discours, l'assiette de dégustation aguiche déjà la papille du visiteur. Lequel manifeste à grands renfort d'onomatopées un évident plaisir gustatif ! Originaire de l'Hérault, c'est le bouche-à-oreille qui a mené Pierre jusqu'au buron, cette année. Fort de ses expériences de saisonnier agricole, il découvre l'Aubrac et son climat rude. "Un peu difficile pour un sudiste, mais des paysages superbes ressemblant à l'Irlande. Ici, c'est vraiment chouette !" s'enthousiasme-t-il.
Ce sont avant tout les valeurs véhiculées par ce projet qui motivent Pierre : "La traite, la transformation, la vente sur place, il y a là une cohérence intéressante. C'est le reflet d'un engagement et d'un militantisme qui correspond parfaitement à mes valeurs."
Ainsi va la vie, aux confins de l'Aveyron et de la Lozère, au buron du Puech de la Treille, qui tient son nom du trille, le chant de l'alouette. Un petit tour s'y impose juste avant que ne reviennent les saisons qui mangent les gouttières. Une visite, une pause salutaire à la rencontre d'une équipe de passionnés qui ont fait de leur rêve et de l'addition de leur savoir-faire, en ce lieu un peu hors du temps, une réussite qui vaut bien plus qu'un fromage, assurément !
Sylvie Daynac
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