Inventaire des fonctions méconnues de l’ouvrage (2/6)
Un milieu de vie rare et précieux.
La chaussée est un ouvrage autour duquel la vie s’est organisée, grandement diversifiée et complexifiée. Des dizaines d’écosystèmes s’épanouissent en ce lieu. En été, en saison chaude et sèche, l’eau étant rare, la vie de la rivière est critique. L’ouvrage hydraulique est alors très précieux, c’est une véritable oasis. Son remous offre un volume d’eau parfois considérable, rare, maintenu frais par le couvert forestier qui l’accompagne très souvent. C’est un climatiseur naturel. Elle permet ainsi la résilience de toute la flore, de la faune, et la continuité de toute vie, y compris humaine. Avec le réchauffement climatique qui s’amplifie, c’est un atout capital à préserver. En période de sécheresse, la chaussée sert de réserve stratégique d’eau pour lutter contre les incendies, comme ce fut le cas en 2003.
La chaussée oxygène massivement le cours d’eau.
L’eau qui alimente le remous de la chaussée possède un fort taux d’oxygène dissout hérité du faciès lotique (rapide) du cours d’eau, en amont de celui-ci. Au cours de son transit au sein de la zone de retenue, celui-ci diminue graduellement, jusqu’à la crête de l’ouvrage hydraulique. Au niveau de la chute, l’eau bascule dans le vide, ou glisse sur le parement aval, pénètre en profondeur dans la vasque de réception naturelle (ou «gourg» en occitan) au pied de l’ouvrage. Il en résulte un brassage extrêmement énergique et profond de l’eau avec l’air ambiant. Cela permet l’oxygénation en masse de l’eau et lui donne une couleur «blanc écume», en occitan on dit qu’elle «grume». Cette action se poursuit parfois sur des dizaines de mètres en aval de l’ouvrage. Lorsque le parement aval de la chaussée est oblique, il se trouve une surface importante sur laquelle s’écoule l’eau de façon laminaire et rapide. Ce support offre un support idéal au développement des macrophytes, algues filantes, et autres mousses aquatiques. Cela donne naissance à des milliers de micro-reliefs, qui provoquent autant de turbulences, font ricocher l’eau et la brassent en permanence, la dénitrifient, en un mot oxygènent vigoureusement la veine liquide.
Autrefois (hier) la «vague bleue» sauvait la vie aquatique estivale des rivières.
Il n’y a pas si longtemps, en période estivale, pour fournir la farine, essentielle, et donner du travail aux ouvriers, les meuniers et usiniers se voyaient dans l’obligation de faire fonctionner régulièrement leurs établissements. Pour cela, ils étaient obligés de fonctionner par éclusées. A une phase de vidange des stocks du réservoir, pour faire marcher les moteurs hydrauliques, succédait une phase plus ou moins longue de reconstitution des stocks, et ainsi de suite en alternance. La vie piscicole et aquatique n’était pas menacée, bien au crontraire. La mise en marche, la rotation rapide des roues hydrauliques et des turbines réoxygénait massivement l’eau et en faisait baisser la température. La chaussée cessait de «grumer» et devenait silencieuse pour quelques heures. Contrairement à ce qu’affirment certains, le fonctionnement par éclusées était grandement vertueux. En effet, tous les meuniers et usiniers se calaient les uns par rapport aux autres, pour pouvoir bénéficier du volume d’eau libéré par le collègue placé en amont. On ne perdait rien. C’est ce que nous appelons «la vague bleue». Ainsi, en été en quelques jours, l’ensemble de la rivière était réoxygéné, revigoré, et la biomasse végétale et animale, aquatique ou terrestre, en tirait le plus grand bénéfice.
Depuis des décennies, les mesures réglementaires imposées par les administrations gestionnaires des rivières aux meuniers ou usiniers sont contraires aux principes de vie. En été, l’obligation de laisser «les vannes fermées» pendant plus de 90 jours transforme les zones de stockage de l’eau en milieux complètement anoxiques, empoisonnés, en eaux mortes. Les nitrates excédentaires favorisent la croissance de plantes invasives qui consomment l’oxygène de l’eau. La vie aquatique est impossible. (à suivre)
Photo : Darnac (Haute-Vienne), Moulin de Boismeunier, sur la Gartempe. Cette chaussée bipolaire, de forme ogivale, dessert deux moulins, un sur chaque rive. Chose rare, l’ouvrage est formé de blocs de granit alignés dans le lit de la rivière. Les trous intersticiels étaient comblés par des fagots de branches. Photo JPH Azéma octobre 2020
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