Architecture : un joyau hérité de nos ancêtres
Une chaussée, c’est avant tout un ouvrage construit de mains d’homme, une construction architecturale étonnante, bâtie de 1.000 manières, en bois, en pierre, en pierre et bois, en béton, selon le milieu immédiat, les régions et les pays.
Curieusement, ces ouvrages qui peuplent nos rivières et embellissent nos paysages ruraux et urbains, ont été peu étudiés par les historiens des techniques, les géographes et les architectes. Ce sont des ouvrages pratiquement oubliés. Cette absence d’intérêt, et la rareté des publications scientifiques de référence, expliquent que les chaussées de moulin soient les premières victimes des idées funestes de «restauration des rivières» et de «continuité écologique».
Or, les chaussées sont des outils de gestion des rivières, adaptés à leur milieu. Dans les zones montagneuses aux cours d’eau rapides, elles sont construites en pierre ou en bois. Chacune est singulière. En Roumanie ou en Savoie, dans des gorges abruptes, elles sont composées de troncs d’arbres empilés horizontalement, les uns sur les autres. Autrefois, en Ariège, on fichait dans le lit de la rivière des grosses poutres de bois dans lesquelles étaient ménagées des feuillures. Entre deux poutres, on faisait glisser de forts madriers qui formaient le cœur de l’ouvrage. Sur les petits torrents, les meuniers prenaient appui sur de gros blocs de pierre pour caller leur prise d’eau. Ils plaçaient une série de fagots en amont de rochers pour orienter l’eau vers le canal d’amenée. En Ardèche, jusque vers 1850, les chaussées étaient formées par des lignes de galets accumulées en tas de charge, en travers des rivières. L’ouvrage appelé «Chaussée volante» était balayé à l’occasion de chaque crue. Il fallait ensuite le reconstruire. Toujours en montagne, les chaussées peuvent être construites en pierre maçonnée ou en pierre sèche. En Sud-Aveyron, ces dernières étaient construites avec des pierres se débitant en plaques (schiste ou grès) placées verticalement pour former (vu en plan) un arc tendu. En langue d’oc, on appelle cela la construction «en rascas». Dans les sections de rivières moins pentues, les chaussées ont un parement aval incliné et sont parfois construites autour d’une armature en bois, renforçant la structure. Ailleurs, les ouvrages sont intégralement construits en pierre maçonnées, ou pierre de taille, en grand appareil, comme à Saint-Georges-de-Luzençon.
La chaussée est un élément patrimonial de premier rang, souvent d’une très grande beauté. En montagne, son tracé est souvent perpendiculaire au cours d’eau. Elle mesure de quelques mètres à quelques décamètres, pour une hauteur comprise entre 1 mètre et 5 mètres. En plaine, son tracé est en diagonale du cours d’eau. En zone urbaine elle peut avoir un tracé en ogive ou en chevron, la pointe vers l’amont, ou en segments brisés lorsque plusieurs moulins se sont partagé le même ouvrage et la même chute. L’origine de la forme en chevron s’appuie sur une chaussée unipolaire (desservant un moulin ou groupe de moulins) qui fut partagée avec un autre moulin, s’installant sur la rive opposée, à l’occasion d’une crise énergétique.
En élévation, la géométrie de l’ouvrage varie selon la pente de la rivière. Les chaussées à parement vertical occupent les parties supérieures des bassins versants. Elles ont un remous assez réduit, de quelques mètres à quelques centaines de mètres de long. Cela reflète une pente rapide de la rivière calculée en pour cent %. Les chaussées de plaines ont un parement aval incliné. La longueur de leur remous est fonction de la pente du cours d’eau, calculée en pour mille ‰. Pour certains, ils peuvent atteindre plus de 2.000 mètres de long et des hauteurs comprises entre quelques décimètres et 2,5 m à 3 m (à suivre).
Photo : Mounès-Prohencoux (Aveyron). Chaussée n° 25, un bel ouvrage construit «en rascas», en pierre sèche, établi sur le Rance. Photo JPH Azéma octobre 1981
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